Les secrets des jeux de hasard dévoilés
Qui n’a jamais rêvé d’être millionnaire?!
Lorsqu’on songe à tout ce qu’on pourrait faire avec quelques millions de dollars, les rêves ne manquent pas!
Mais comment y parvenir? Si nous ne venons pas d’un milieu aisé ou qu’on ne peut espérer un héritage généreux, s’il nous faut travailler dur pour gagner notre vie, si nos projets d’affaire ne nous ont pas rapporté un gros coup d’argent, il ne nous reste peut-être plus qu'une solution: le gros lot de la loterie.
Qui joue aux jeux de hasard ?
Selon les données de Loto-Québec, les deux-tiers d’entre-nous engloutissons pour plus de trois milliards $ chaque année dans la loto. Cela représente 2000 $ en moyenne par joueur. Ce fait est confirmé par une étude réalisée par l’Institut national de santé publique du Québec, qui indique que chaque Québécois qui s’adonne aux jeux de hasard et d’argent dépense «seulement pour le jeu étatique» une moyenne de 1788 $ annuellement. Il ne s’agit pas ici de joueurs pathologiques, précise-t-on.
L’étude rapporte en outre qu’en 1999, 65% de la population du Québec avait participé à au moins un jeu, que 47% jouait à la loterie, 43% à la loterie instantanée, 18% au casino, 14% aux machines à sous (dans les casinos) et 9% aux appareils de loterie vidéo (hors casino). En outre, 13% jouaient aux cartes entre amis. On calcule que ces joueurs achètent pour de 9 à 12 $ de billets de loto par semaine, misent de 9 à 11 $ au bingo, parient de 20 à 60 $ en course de chevaux… et engloutissent de 120 à 145 $ par semaine dans les machines à sous!
Par ailleurs, d'après les données du rapport financier de Loto-Québec, chacun des 7,2 millions de Québécois que nous sommes joué pour 500 $ durant une année (10 $ par semaine). Toutefois, on ne remporte qu’un maigre 200 $, pendant que nous donnons au gouvernement l’équivalent de 180 $. Évidemment, tout le monde ne joue pas – notamment les bébés naissants et bon nombre d’adultes.
Notons, au passage, que Loto-Québec rapporte que nous ne sommes pas les plus gros joueurs au Canada, les Québécois venant même au huitième rang au Canada quant à la dépense per capita en jeux de hasard et d’argent .
Pourquoi joue-t-on ?
Qu’est-ce qui motive tant à jouer malgré le fait que les sommes qu’on mise semaine après semaine dépassent largement nos gains (comme nous le verrons sous peu)?
Selon les spécialistes du Centre québécois d’excellence pour la prévention et le traitement du jeu de l’Université Laval, on persiste à jouer en raison d'une conception erronée du jeu plutôt qu'en raison d'une quelconque carence dans notre éducation, notre environnement social ou notre personnalité. Bien qu’on soit relativement rationnels en dehors d’une situation de jeu, il se produit une sorte de dérapage lorsqu’on joue puisqu’on continue d'appliquer les principes de raisonnement de la vie de tous les jours à une situation qui est pourtant dominée par le hasard.
En effet, dans notre quotidien, nous cherchons naturellement à établir des relations entre les événements. On examine ainsi nos expériences passées afin de mieux gérer le présent et l’avenir. Cependant, dans les situations dominées par le hasard, cette faculté devient totalement inutile puisque les événements sont absolument imprévisibles. Chercher des relations entre les événements en jouant des jeux de hasard et d'argent s'avère inadéquat et mène inévitablement à des résultats désastreux. En continuant d'appliquer le principe de cause à effet, on en arrive même à croire qu’on peut déjouer le hasard et que le développement de stratégies augmentera des chances de gagner.
Pourquoi en est-il ainsi?
Le piège dans les jeux de hasard et d'argent est de les considérer comme des jeux d’adresse, ce qui engendre une illusion de contrôle et fait surestimer nos chances de gagner. Dans un jeu d’adresse, on apprend de ses erreurs passées pour améliorer sa performance, alors que dans les jeux de hasard, il est absolument inutile de tenter d’améliorer nos «stratégies» en examinant les coups précédents. Les résultats sont déterminés au hasard, les stratégies ne sont d’aucune utilité.
Testez vos habiletés
Pourquoi, malgré tout, continue-t-on de jouer? Ou, du moins, pourquoi sommes-nous tous si tenté de jouer?
Pour saisir les mécanismes en jeu, rien de tel que quelques petits exercices pratiques. Jouons donc ensemble quelques jeux et voyons voir ce qui se passe.
Pour commencer, voici cinq devinettes simples qui vous permettront de mesurer votre habileté à estimer vos chances.
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1°) |
Si on lance deux pièces de monnaie, quelle est la probabilité d’obtenir le côté face au moins une fois? |
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a) 1 chance sur 2
b) 2 chances sur 3
c) 3 chances sur 4
d) À tout coup ! |
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Réponse |
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2°) |
Vous vous levez si tôt le matin qu’il fait encore nuit. Vous voulez extirper du tiroir de la commode une paire de chaussettes de même couleur, sans allumer de lumière. Comme le tiroir contient 24 chaussettes noires et 24 chaussettes bleues (non pairées), combien devez-vous en piger (d’un coup) pour être certain d’avoir au moins deux chaussettes de la même couleur? |
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a) 3 chaussettes
b) 5 chaussettes
c) 9 chaussettes
d) 25 chaussettes |
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Réponse |
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3°) |
Dans une classe de 30 élèves, quelles sont les chances pour que deux d’entre eux fêtent leur anniversaire le même jour? |
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a) 2 chances sur 3
b) 1 chance sur 35
c) 1 chance sur 155
d) 1 chance sur 365 |
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Réponse |
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4°) |
Un chapeau contient dix boules numérotées de 1 à 10. Quelle chance a-t-on de piger le chiffre 7 puis le chiffre 3? |
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a) 1 chance sur 25
b) 1 chance sur 50.
c) 1 chance sur 90.
d) Impossible de répondre à cette question. |
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Réponse |
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5°) |
Un chapeau contient dix boules numérotées de 1 à 10. Vous pigez deux fois de suite la boule 7. Quelle chance avez-vous de la piger une troisième fois? |
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a) 1 chance sur 5
b) 1 chance sur 10
c) 1 chance sur 30
d) 1 chance sur 100 |
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Réponse |
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Quelles sont vos chances de gagner ?
À quelle conclusion arrivez-vous: êtes-vous habile à estimer vos chances? Combien de devinettes avez-vous réussies? Toutes les 5, ou 4, 3, 2, 1… ou aucune?! Quoi qu’il en soit, voici trois autres chances de vous rattraper.
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6°) |
Vous habitez dans une grande ville (comme Montréal) et votre nom figure dans le bottin téléphonique de celle-ci. Quelles sont les chances pour que vous tombiez sur votre nom en ouvrant le bottin tout à fait par hasard et en y laissant tomber votre doigt quelque part sur l’une des deux pages qui se présentent à vous? |
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a) 1 chance sur 500 000
b) 1 chance sur 1 million
c) 1 chance sur 2 millions
d) 1 chance sur 10 millions |
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Réponse |
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7°) |
Et maintenant, si, à chaque tirage de la 6/49 des 50 prochaines années (à raison de 2 tirages par semaine), vous achetiez dix billets qui, chacun, vous donne une chance sur 14 millions de gagner le gros lot, quelles seraient vos chances de remporter le gros lot? |
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a) 1 chance sur 270
b) 1 chance sur 9 400
c) 1 sur 14 millions |
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8°) |
Voici une dernière chance de vous rattraper! Vrai ou faux: il y a davantage de chances pour que la combinaison 9-12-29-34-39-45, complémentaire 18, sorte lors d’un tirage de la 6/49 que la combinaison 1-2-3-4-5-6, complémentaire 7? |
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Réponse |
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Ultime test : vaut-il mieux tout miser d’un coup ?
Un autre bel exemple de la difficulté d’estimer nos chances de gagner nous est proposé par Denis Labelle, statisticien et professeur de l’Université du Québec à Montréal (UQAM). Il nous pose le problème suivant: quelle stratégie un joueur à la roulette doit-il adopter pour avoir les meilleures chances de doubler les 100$ qu’il a en poche? Doit-il, par exemple, miser une série de petites sommes – 2$ ou 5$ à la fois – ou, au contraire, jouer ses 100$ d’un coup? Y a-t-il une stratégie meilleure à suivre?
Qu’en pensez-vous?
Le prof Labelle nous dit que si le joueur mise ses 100$ d'un seul coup (sur le rouge par exemple), il aura 9 chances sur 19 de doubler sa mise, donc de se retrouver avec 200$. Évidemment, dans ce cas, il perdra tout son avoir ou il le doublera; c’est quitte ou double. Il a donc 47,7% de chance d'atteindre son but (et 52,3% de tout perdre).
Par contre, calcule le statisticien, s'il gage par sommes de 50$, le joueur aura 44,8% de chance de parvenir à doubler son montant de départ. S'il ne gage que 1$ à la fois, il n'a plus qu'une chance sur 37 650 d'atteindre son but. Il a en outre 1 chance sur 10 d’atteindre les 200$ s'il mise 5$ chaque fois et 1 chance sur 195 s’il mise 2$ du coup.
Ainsi, conclut Denis Labelle, à la roulette, mieux vaut gager d'un coup que de faire un très grand nombre de petites mises. Autrement, en jouant de petites sommes, le casino est pratiquement assuré de gagner. «Quand on joue un seul coup, le hasard fait qu'on peut tout gagner ou tout perdre, dit-il. Si je gage 100$ sur le rouge au casino, j'ai un peu moins d'une chance sur deux de gagner, mais je peux gagner. Tandis que si je gage mes 100$ sur le rouge en misant 1$ à la fois, je suis presque certain de le perdre.»
Pour le statisticien, il ne fait aucun doute que quelqu'un qui passerait ses journées à miser 5$ à la roulette perdrait immanquablement. Il estime que le joueur n’a en effet qu’une chance sur un milliard de faire un profit au bout de plusieurs milliers de mises. «Quand on joue peu longtemps, dit-il, on peut gagner ou perdre, mais à la longue, on perd toujours…»
Voilà précisément ce qui explique que, à l’occasion, une personne qui passe une soirée au casino ressorte «gagnante» (c’est-à-dire avec plus d’argent en poche qu’elle en a joué). Toutefois, ceux qui y vont de temps à autres sont presque à coup sûr perdants alors que c’est encore plus vrai pour ceux qui y jouent régulièrement…
«Quand on joue à un jeu désavantageux pour nous, de conclure le spécialiste, mieux vaut faire une seule grosse mise – un seul gros «tout ou rien» –, que de faire un très grand nombre de petites mises séparées. Le calcul des probabilités est incontournable quand on fait un grand nombre de petits paris.»
Qui gagne à la loterie ?
Comme le montrent les exercices précédents, les chances de gagner à un jeu de hasard sont généralement difficiles à estimer. Pourtant, au quotidien, on pense souvent être en mesure d’évaluer assez correctement les probabilités d’un événement, qu’il se produise ou non. Combien de fois se dit-on: «C’est un hasard extraordinaire…!» ou «Mes chances sont particulièrement bonnes de…»? En réalité, on se méprend presque à tout coup.
L’une des notions fondamentales sur laquelle on trébuche souvent – consciemment ou non – est de considérer que les tirages de numéro sont liés entre eux. Par exemple, dans un chapeau contenant dix boules, vous tirez une à une les boules (sans les remettre), les probabilités de tirer un numéro dépend bien entendu des piges précédentes. Ainsi, à la toute fin, s’il ne reste que deux boules et que le 7 n’est pas encore sorti, il y a alors une chance sur deux pour qu’il soit pigé. Par contre, si chaque fois on remet la boule pigée dans le chapeau, il y a toujours une chance sur dix pour que le 7 (ou tout autre nombre) sorte, même à la dixième pige. C’est «simple» et «évident» dites-vous? Pourtant, combien de fois se plaît-on à imaginer le contraire?
Ainsi, au moment du tirage des 6 numéros de la 6/49, on se retrouve en présence de la première situation (les boules tirées n’étant jamais remises dans le bouclier). Par contre, d’un tirage à l’autre, tous les numéros ont autant de chance de sortir. Pourtant, nombreux sont ceux et celles qui pensent qu’il y a des «chiffres chanceux», des boules qui auraient davantage de chance de sortir que d’autres? Combien pensent qu’une combinaison aussi simple que 1-2-3-4-5-6 a moins de chance de se produire qu’une combinaison comme 5-12-19-26-31-44? Certains pensent même que lorsqu’un numéro n’est pas apparu depuis un certain temps, il a davantage de chance de sortir la prochaine fois!
Le juste calcul des probabilités de gagner ou non à tout jeu de hasard repose essentiellement sur une juste appréciation des relations qui existent entre les événements possibles. Or, le calcul de nos chances n'est, à toute fin pratique, jamais intuitif.
Par exemple, pourquoi dit-on qu’on a une chance sur 14 millions de gagner le gros lot de la 6/49? À cause du calcul suivant: il s’agit dans les faits d’obtenir 6 bons numéros parmi 49 possibles. Nos chances sont donc de:
49 x 48 x 47 x 46 x 45 x 44
----------------------------- = 13 983 816 combinaisons possibles
1 x 2 x 3 x 4 x 5 x 6
Soit, en arrondissant, une chance sur 14 millions. Autrement dit: il y a 14 millions de façons de choisir 6 objets parmi 49. Bien sûr, il est difficile de s’imaginer ce que représente une telle «chance».
Le statisticien Denis Labelle donne l’exemple suivant. Imaginons qu’on se procure 14 millions de billets de 6/49 et qu’on les empile les uns par-dessus les autres. On obtiendrait alors une colonne de billets aussi haute qu’un édifice de 200 étages – soit les deux feu tours du World Trade Center mises l’une par-dessus l‘autre! Maintenant, essayons de trouver le billet gagnant du gros lot qui se cache quelque part dans cette immense colonne!
Une autre façon d’entrevoir ce que représente une chance sur 14 millions consiste à imaginer qu’on se décide à se procurer toutes les combinaisons possibles de six chiffres afin d’être certain de remporter le prochain gros lot. En supposant que nous ne mettions que dix secondes à remplir chaque grille de six chiffres et à les faire valider, cela demanderait 140 millions de secondes… autrement dit : 1 620 jours ou 4½ années! Nous avons besoin de nous y prendre d’avance. Évidemment, l’opération nous coûterait 14 millions $!
Il n’y a pas que le «gros lot» à gagner lors d’un tirage de la 6/49. Selon que notre billet comporte 3, 4, ou 5 des numéros gagnants (avec le complémentaire ou non), nous reporterons des lots compris entre 10$ et quelques centaines de milliers$. Mais quelles sont nos chances d’avoir trois, quatre ou cinq bons numéros?
Nous avons 1 chance sur 57 d’avoir 3 bons numéros sur 6.
Nous avons 1 chance sur 1 027 d’avoir 4 bons numéros sur 6.
Nous avons 1 chance sur 55 360 d’avoir 5 bons numéros sur 6.
Nous avons 1 chance sur 2 325 000 d’avoir cinq bons numéros et le numéro complémentaire.
Mais nous avons aussi 13 723 192 chances sur 13 983 816 de ne rien gagner du tout, soit 98.1%!
Notez que si nous achetions dix billets à chaque tirage, nous aurions alors une chance sur six de gagner 10 $, les probabilités sont donc assez bonnes pour que nous remportions de temps à autre un «beau 10 $». Nous pourrions ainsi clamer, comme le font quantité de joueurs fréquents: «Je gagne souvent à la loto! Du moins, je n’y perds rien». Toutefois, dépenser 60$ pour en remporter 10 $ est un bon placement pour… Loto-Québec!
Les faits sont hélas incontournables: moins de 2% des billets de la 6/49 rapportent un lot (si minime soit-il) alors que 98% sont perdants. En outre, comme le montrent les données de Loto-Québec, lors des tirages, moins de la moitié des sommes misées sont distribuées à des gagnants. C’est dire qu’en jouant, à la longue nous ne remporterons au mieux que la moitié de nos mises (sous forme de petites sommes)… alors que nous perdons immanquablement plus de la moitié de ce que nous «investissons».
Pourtant, les joueurs dépensent chaque année une quarantaine de dollars semaine après semaine, sans se décourager de ne remporter pas même la moitié de leur mise.
Comme le relate si justement le site web du Centre québécois d’excellence pour la prévention et le traitement du jeu de l’Université Laval: «D'un point de vue économique, s'adonner aux jeux de hasard et d'argent représente un paradoxe car les gens “investissent” leur argent dans une activité qui, à coup sûr, leur en fera perdre à long terme. En effet, aux jeux de hasard et d’argent, la maison (l’organisateur) se garde toujours une part de l’argent misé. Par exemple, Loto-Québec garde 8 % de l’argent misé aux appareils de loterie vidéo. Bien sûr, quelques personnes gagnent occasionnellement beaucoup plus que ce qu’elles ont dépensé. Mais une perte financière est inévitable pour ceux qui jouent régulièrement.»
C’est d’ailleurs ce que démontrent clairement les données de Loto-Québec.
Cette illusion de contrôle, qui peut être d’ailleurs très forte, a pour conséquence d’augmenter l’intérêt pour le jeu et le montant d’argent qu’on est prêt à miser. L’exemple le plus évident de l’illusion de contrôle est très certainement le comportement superstitieux. Bon nombre d’adeptes du bingo possèdent des porte-bonheur, d’autres exécutent des rituels avant de miser de l’argent, croyant que ceux-ci feront tourner le jeu en leur faveur. Choisir des numéros spécifiques au Lotto 6/49 est également une manifestation de l'illusion de contrôle de même que changer de machine à sous pour augmenter ses chances de gagner.
Même si on en vient à croire pouvoir contrôler l’issue du jeu, il n’en demeure pas moins qu’on perd plus qu’on ne gagne. L’expérience au jeu de même que le nombre de dollars qui fuient notre portefeuille devraient nous indiquer que jouer n’est pas une activité rentable. Par contre, les joueurs ne font pas une évaluation objective des résultats et de leur comportement. Les coïncidences du jeu font en sorte qu’à l’occasion, un gain viendra renforcer certains comportements ou certaines pensées. Leur interprétation biaisée des résultats fera en sorte qu'ils attribueront ces gains à leurs « habiletés » ou « intuitions » (« Je savais que je gagnerais, je le sentais !») et les échecs à des facteurs extérieurs (« Ce n’est pas une machine payante !»), préservant ainsi leur illusion de contrôle. Persuadés qu’ils finiront par gagner un jour, ils ne prennent pas conscience que leur mode de pensée est inefficace.
Les pensées erronées se retrouvent aussi bien chez les joueurs occasionnels que chez les joueurs excessifs. Cependant, elles sont plus fréquentes et plus fortes chez ces derniers. Le joueur excessif est convaincu que sa manière de jouer est importante pour gagner alors que le joueur occasionnel reconnaîtra plus facilement qu’au bout du compte, sa façon de jouer ne change rien aux résultats obtenus.
Un autre facteur qui distingue les joueurs occasionnels des joueurs excessifs est la motivation de ces derniers à gagner de l’argent. La motivation monétaire est la première raison pour laquelle tout le monde joue ; la participation accrue des gens au Lotto 6/49 lorsque le gros lot atteint plusieurs millions montre de façon éloquente cette motivation.
Les joueurs occasionnels espèrent gagner de l’argent mais ils ne considèrent pas le jeu comme une source de revenus; alors que les joueurs excessifs, eux, considèrent le jeu comme une source potentielle de revenus. Des gains importants peuvent avoir influencé à la hausse leur désir de faire de l'argent. En effet, plusieurs joueurs excessifs ont le souvenir d'avoir gagné « beaucoup d’argent » à leurs premières expériences avec le jeu. Ces gains stimuleraient davantage leur motivation à faire de l'argent et leur illusion de contrôle. Une fois dans la spirale du jeu, le besoin de gagner de l’argent se transforme en besoin de récupérer les pertes engendrées par le jeu régulier. Le joueur tente de se refaire indéfiniment puisque, comme nous le verrons, il ne se rend pas compte qu’il ne peut sortir gagnant d’un jeu totalement dominé par le hasard.
Prendre garde à la notion de chance
On a beau démontrer que, tout compte fait, on est perdant en jouant à des jeux de hasard – « tout le monde sait ça, voyons donc ! » – on n’en continue pas moins de jouer quand même. Pourquoi ? Tout simplement parce que nous sommes confrontés à un mécanisme de conditionnement psychologique redoutable: le renforcement occasionnel et aléatoire.
Il existe, nous en sommes tous conscients, plusieurs mécanismes de renforcement puisque nous sommes conditionnés, dès notre enfance, par les récompenses qui suivent nos « bonnes actions ». C’est d’ailleurs ce mécanisme qui fait que bon nombre d’entre nous se levons tous les lundi matins pour aller travailler : une « bonne semaine » de travail étant couronnée par une « bonne paie ». De même, une mauvaise action est sanctionnée… par une amende ou une contravention.
L’espoir de gagner le « gros lot »
Il existe cependant un mécanisme de renforcement encore plus efficace : la possibilité de recevoir une formidable récompense, à un moment inattendu, parce qu’on se comporte sans cesse de la bonne façon.
Concrètement : si à chaque fois que notre enfant se « comporte bien », nous lui donnons une petite récompense (un bon dessert, par exemple), celui-ci finira par se lasser. De temps à autre, n’ayant pas envie de dessert, il se comportera comme bon lui semblera… et tant pis pour le dessert ! Par contre, si en se comportant bien, il sait qu’il court la chance de recevoir une « grosse récompense » – l’objet dispendieux dont il rêve tant – il désobéira beaucoup moins fréquemment au cas où...
Pour que ce mécanisme fonctionne bien, il importe qu’il donne des résultats de temps à autre – des renforcements –, sans quoi l’enfant finira par se lasser. Il faut donc à l’occasion lui donner quelque chose qu’il convoite… sans toutefois lui décerner le « gros lot ». Une bonne façon de maintenir son intérêt est de lui donner de temps en temps de petites récompenses : il peut parfois s’agir d’un bon dessert, parfois d’une sortie au cinéma (avec pop-corn et boisson gazeuse), parfois d’un vêtement et, peut-être même ultimement, de l’objet de ses rêves.
Toutefois, ce qui importe avant tout pour que ce conditionnement opère vraiment bien, c’est que la récompense (si minime soit-elle) arrive toujours à un moment imprévisible pour l’enfant… qu’elle lui paraisse « tomber du ciel » alors que, bien sûr, il continue toujours de bien se comporter.
Bien utilisé, ce mécanisme psychologique est extrêmement efficace, redoutable même. À preuve ? C’est exactement de cette façon que fonctionnent les tirages de loterie. Chaque semaine, vous vous comportez « bien » en achetant fidèlement vos billets de loto. De temps à autre, assez fréquemment même, mais sans jamais que vous ne puissiez le prévoir, vous remportez un petit quelque chose : un 5 $, un 10 $, un billet gratuit ou un 25 $. Dieu que ça fait plaisir ! Il arrive même à certains de remporter un lot assez important, quelques milliers de dollars, sinon même davantage. Bien sûr, tout cela renforce notre conditionnement en nous donnant l’espoir qu’un jour nous remporterons le gros lot. Cela arrive d’ailleurs, puisque de temps à autre, quelqu’un (dont on entend abondamment parler dans les médias) a la suprême chance de remporter le million $.
Mais réalisons-nous que, selon les données de Loto-Québec, sur les 450 millions de billets de 6/49 achetés en une année, une vingtaine seulement ont permis de gagner le million $ ?!
Néanmoins, comme le mécanisme de renforcement est extrêmement efficace (puisqu’il y a des milliers de petits lots à gagner), on continue de jouer semaine après semaine. Après tout, pourquoi ne pas courir la chance, si minime soit-elle, de gagner le million $ ?
Si le jeu est un amusement pour la majorité des gens, le jeu excessif, quant à lui, détruit graduellement la qualité de vie des individus, lit-on sur le site web du Centre québécois d’excellence pour la prévention et le traitement du jeu de l’Université Laval
Quel est le portrait-type de la joueuse ou du joueur excessif ? Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il n'en existe aucun. Le jeu excessif se retrouve dans toutes les couches de la société : riches ou pauvres, travailleurs ou chômeurs, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, tous peuvent être à risque de développer un problème de jeu.
Peu importe la personne atteinte, le joueur qui a un problème de jeu s'endette considérablement et essaie de se procurer de l'argent pour jouer. Tous ces comportements lui amènent des ennuis au travail (absentéisme et improductivité), mettent en péril sa santé physique et psychologique et peuvent faire souffrir les membres de sa famille.
L'évolution vers le jeu excessif se fait habituellement en trois phases. Chacune de ces phases peut durer de quelques mois à plusieurs années selon la personne impliquée.
La phase de gain. L'individu joue régulièrement et ne vit pas de difficulté particulière. Le joueur remporte souvent une somme d'argent importante et plus élevée qu'à l'habitude. Confiant en ses habiletés et développant l'illusion qu'il peut reproduire ce gain, il augmente considérablement sa fréquence de participation au jeu. Les gains lui apportent du pouvoir et de la reconnaissance sociale, et il est très généreux envers sa famille et ses amis.
La phase perdante. L'individu joue régulièrement et augmente ses mises, convaincu de l'impossibilité de perdre. Pourtant, il s'appauvrit peu à peu. Il attribue ses pertes à des conditions extérieures (par exemple, la piste de course était en mauvais état ou le croupier du casino était contre lui). Il nie la réalité, tant il est certain qu'il retrouvera sa forme d'antan. Dans ses tentatives de récupérer l'argent perdu au jeu (« se refaire »), le joueur s'enlise dans un cercle vicieux, s'endette et ment à son entourage au sujet de ses absences prolongées, de ses pertes et de son manque d'argent.
La phase de désespoir. Pendant cette période, le joueur croit encore pouvoir gagner, mais perd presque toujours. Le jeu devient progressivement tout ce qui importe dans sa vie. Il subit une véritable perte de contrôle dans laquelle se renforcent les comportements typiques des problèmes de dépendance.
Un individu en phase de désespoir n'aura pas d'autres choix que de consulter. Il est souvent dit que les joueurs doivent atteindre le « fond du baril » avant d'aller chercher de l'aide. Les gens qui consultent sont souvent dans cette situation. Malgré tout, de plus en plus de gens vont voir un spécialiste de la santé mentale avant d'être en phase de désespoir, ce qui les aide à repartir du bon pied avant d'avoir tout perdu.
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