A Kinshasa, les opposants s’agitent, menacent de mobiliser la rue, faute d’avoir arraché un accord avec la majorité présidentielle dans le cadre de la médiation de la dernière chance lancée par l’Eglise catholique congolaise. Le président, lui, se tait. Lundi 19 décembre, le second mandat de Joseph Kabila touche à sa fin. Le chef d’Etat, arrivé au pouvoir à l’âge de 29 ans à la suite de l’assassinat de son père en janvier 2001, a manœuvré pour retarder l’élection présidentielle, au risque de voir le pays s’embraser.
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Ce que les Congolais ont surnommé le « glissement » a été validé en mai par la Cour constitutionnelle, qui a statué en faveur de son maintien à la tête de l’Etat jusqu’à la prochaine élection. Taiseux, Joseph Kabila avait néanmoins lâché quelques mots à ce sujet lors d’une visite à Kampala, en Ouganda, en août. « Dès que le registre des électeurs sera disponible, nous aurons une élection », avait-il dit, en anglais, refusant que ses paroles soient traduites. Puis, lors du discours à la nation, trois mois plus tard, il a déclaré : « N’ayant jamais été violée, la Constitution sera respectée dans toutes ses dispositions. »
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Faute de recensement, nul ne sait combien d’habitants et d’électeurs compte le plus grand pays d’Afrique francophone, miné par des groupes armés à l’est et par la pauvreté, aggravée par la volatilité des cours des matières premières. Dans les gigantesques quartiers populaires de la capitale, acquis à l’opposition, les jeunes se disent prêts à descendre dans la rue le 19 décembre pour exprimer leur colère, quitte à affronter les forces de sécurité déjà déployées dans les grandes villes du pays.
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Kinshasa en ébullition
« C’est la première fois qu’un président élu au suffrage universel va quitter le pouvoir et on veut le faire dans des conditions optimales en s’assurant que toutes les conditions sont réunies pour des élections », justifie Henri Mova, secrétaire général du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie, le parti présidentiel. Pendant ce temps-là, Kinshasa est en ébullition et toute la RDC retient son souffle, suspendue aux négociations de la dernière chance entamées tardivement entre le pouvoir et l’opposition, sous l’égide de l’Eglise. Les investissements étrangers sont suspendus, les nantis et les expatriés quittent le pays, les ambassades ont évacué leurs employés, en prévision d’un éventuel soulèvement le 19 décembre.
Pour se maintenir à la tête de ce pays-continent aussi complexe qu’instable, Joseph Kabila a usé de la ruse et de la force. Son dernier coup remonte au 17 novembre. Comme convenu un mois plus tôt lors d’un précédent dialogue avec une partie de l’opposition et de la société civile organisé sous l’égide de l’Union africaine, Joseph Kabila a désigné un premier ministre issu de l’opposition en échange de son maintien au pouvoir jusqu’en avril 2018.
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Joseph Kabila a surpris les Congolais en confiant le poste à Samy Badibanga, un député issu des rangs de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS), le parti de l’inflexible opposant Etienne Tshisekedi, 84 ans, avec qui M. Badibanga a pris ses distances. Une manière de fissurer cette opposition, de séduire l’électorat du Kasaï, province du centre du pays dont sont originaires M. Badibanga et M. Tshisekedi, et de marginaliser l’ambitieux Vital Kamerhe.
Ce dernier, avant de se rallier à l’opposition, a été directeur de campagne de Joseph Kabila lors de la première élection libre, en 2006, ce qui lui vaudra de présider l’Assemblée nationale jusqu’en 2009. M. Kamerhe était certain que le poste de premier ministre lui reviendrait. Mais Joseph Kabila ne pardonne jamais aux traîtres. Depuis, Samy Badibanga s’est enfermé dans le silence et la RDC est dépourvue de gouvernement depuis un mois.
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« Kabila reste le plus fort des faibles réunis au sein d’une opposition qui a mal évalué le rapport de force », constate un diplomate occidental. De nombreux caciques de l’opposition ont été des fidèles ou des partenaires de Joseph Kabila, auquel ils doivent leur ascension et parfois leur enrichissement. Ce que ne manque pas de rappeler Jean-Claude Kazembe, le gouverneur du Haut-Katanga (sud-est), dont la nomination en mars par le pouvoir a été entérinée par l’assemblée provinciale.
Un paria vilipendé
A Lubumbashi, chef-lieu de cette province minière, le gouverneur fait repeindre la villa qui lui sert de siège. Comme pour faire oublier les huit années de règne de son prédécesseur, le richissime Moïse Katumbi, longtemps maître absolu de la province du Katanga, avec le soutien de Joseph Kabila. Mal préparé et sans doute trop pressé, « Moïse » a changé de camp et annoncé, en mai, sa candidature à la présidentielle face à Kabila, qu’il a, dès lors, critiqué sans retenue. « Sa popularité est superficielle et il devrait avoir honte de prêcher contre le Congo depuis l’Occident », lâche le gouverneur Kazembe. Katumbi est devenu l’homme à abattre.
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Intimidations physiques, enquêtes judiciaires l’accusant d’atteinte à la sûreté de l’Etat et de spoliation de biens immobiliers, il a dû quitter le pays. A Kinshasa, ses partisans, alliés pour l’occasion à l’UDPS au sein du Rassemblement, tentent de négocier son retour en RDC, dans le cadre du dialogue organisé par l’Eglise.
Malgré un soutien discret des pays voisins et de son partenaire économique chinois, Joseph Kabila, 45 ans, semble aujourd’hui isolé, dans l’impasse. Choyé par Jacques Chirac et George W. Bush à ses débuts, il est devenu un paria vilipendé par les diplomates occidentaux, qui multiplient les communiqués l’appelant à annoncer son intention de ne pas réviser la Constitution et de quitter le pouvoir.
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Les Etats-Unis et l’Union européenne ont adopté des sanctions à l’encontre de hauts responsables sécuritaires du régime Kabila. Lui reste stoïque, entretient le flou plutôt que de rassurer par des déclarations claires. Au contraire, ses proches mettent en garde contre tout projet de rassemblement dans la rue le 19 décembre, laissant entendre que la riposte pourrait être brutale. Le 19 septembre déjà, 53 des manifestants mobilisés par l’opposition avaient été tués, selon les Nations unies. Cette fois, le pouvoir a pensé un dispositif sécuritaire d’ampleur, interdit toute manifestation, multiplié les arrestations d’opposants et d’activistes, suspendu le championnat de football et bloqué les réseaux sociaux augurant une coupure d’Internet. La RDC, qui n’a connu que deux élections présidentielles libres dans son histoire, bataille pour pouvoir choisir une troisième fois son dirigeant.
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