Qui sont les « États voyous » ?
Édito
22 septembre 2017
Le point de vue de Pascal Boniface
Lors de son discours devant l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations Unies (ONU) du 19 septembre 2017, Donald Trump a remis au goût du jour le concept « d’États voyous », en évoquant la Corée du Nord, l’Iran, la Syrie et le Venezuela.
Ce « concept » ne repose sur aucune substance réelle et avait été relégué au musée de l’Histoire pendant les années Obama. Forgé par Antony Lake, alors conseiller du président Bill Clinton pour la Sécurité nationale, il désignait les États manifestant une « incapacité chronique à traiter avec le monde extérieur », autrement dit ceux qui tentaient d’acquérir des armes de destruction massive, soutenaient des groupes terroristes, maltraitaient leur population ou étaient hostiles aux États-Unis. Cette expression a été remplacée par Madeleine Albright, Secrétaire d’État de Bill Clinton de 1997 à 2001, par « États préoccupants » (States of concern). Ces derniers représenteraient un danger en ne respectant pas les règles établies de la société internationale. Ils pouvaient donc, de ce fait, être sanctionnés.
Dès son entrée en fonction, George W. Bush rétablit l’appellation d’« État voyou ». Bien que non officielle, la liste ne laissait aucun doute sur les États visés. Il s’agissait de la Libye, de Cuba, de la Corée du Nord, de l’Irak, de l’Iran et de la Syrie. Parmi les critères officieux figuraient le caractère dictatorial du régime, sa participation à la prolifération des armes de destruction massive ou les atteintes à la sécurité internationale.
Mais le concept d’« État voyou » pose différents problèmes. Qui en fixe les critères et les sanctions ? Il apparaissait rapidement que seuls les États-Unis pouvaient déterminer la culpabilité et se réservaient le droit, selon les circonstances, de sanctionner ou non. La nature des infractions n’était pas davantage définie : la totalité des dictatures n’y apparaissait pas, loin de là. Les pires pouvaient même y échapper, de même que certains pays nucléaires officieux comme l’Inde, le Pakistan ou Israël. Les atteintes à la sécurité internationale pouvaient également être interprétées de manière très différente. Ce qui fait réellement basculer dans la catégorie « État voyou » est, dans les faits, l’opposition à la politique extérieure américaine.
En janvier 2002, G.W. Bush proclamait officiellement une liste de trois pays formant « l’Axe du mal » (Axis of Evil) : Irak, Iran et Corée du Nord. On connaît la suite. Le discours et la guerre d’Irak ont largement contribué à convaincre le régime nord-coréen que sa survie dépendait de sa force nucléaire plus que de la charte de l’ONU.
Cette notion ressurgit ainsi dans la bouche du président D. Trump. Mais il convient de se demander si les États-Unis, qui restent à l’écart de nombreux textes internationaux (Cour pénale internationale, Traité d’interdiction des mines antipersonnel, dénonciation de l’accord de Paris sur le climat, etc.), ont lancé la guerre illégale d’Irak en 2003 et ont créé le camp de Guantanamo, sont les mieux placés pour établir une liste d’« État voyou ». En effet, le voyou est celui qui ne respecte pas la loi officielle, mais établit, lui-même, la sienne, ce que font très souvent les États-Unis. D. Trump conçoit son pays comme ayant une destinée manifeste, au-dessus des lois, voire comme étant seuls à pouvoir les édicter. Le multilatéralisme ne faisant pas partie de son vocabulaire, les rivaux ou opposants deviennent des hors-la-loi. Le problème de cette conception n’est pas seulement son caractère immoral, mais sa dangerosité, au sein d’un monde qui n’est pas unipolaire.
Depuis l’origine, ceux qui ont évoqué les « États voyous », loin d’avoir un comportement de gentlemen, ont été à l’origine de bien des désordres, voire des catastrophes.
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