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Emile Argand
Émile Argand, La Tectonique de l'Asie, 1924
Olivier Dequincey
21/09/2011
Résumé
Présentation, extraits et mise à disposition du livre d'Émile Argand, La tectonique de l'Asie, mise en évidence de la prépondérance des mouvements horizontaux dans les chaînes de montagnes et défense des idées mobilistes de Wegener.
Table des matières
En complément à l'article de présentation ci-après, le livre La tectonique de l'Asie vous est proposé au téléchargement sous format pdf. Une reconnaissance optique de caractères ayant été appliquée, il est possible d'effectuer des recherches dans ce document ou de copier-coller des portions de texte (aux erreurs de reconnaissance de caractère près).
Merci à Betty Kieffer, Bibliothèque de Géologie de Strasbourg, pour le prêt exceptionnel (ouvrage ancien, rare et fragile) du livre d'Émile Argand "La tectonique de l'Asie, 1924.
Numérisation et OCR : Olivier Dequincey et Stéphane Labrosse (Laboratoire de Géologie de Lyon / ENS de Lyon).
Nous donnons un extrait de l'ouvrage d'Émile Argand, La Tectonique de l'Asie , dans lequel l'auteur montre le lien fécond unissant la tectonique et l'hypothèse de la dérive des continents de Wegener. Notre présentation s'appuie essentiellement sur le bel article de Jean-Paul Schaer, « La dérive des continents, son accueil à Neuchâtel et parmi les géologues alpins », Travaux du Comité Français d'histoire de la géologie, Troisième série, t. XVII, 2003 (disponible sur internet), auquel nous renvoyons le lecteur qui souhaiterait approfondir le sujet.
Émile Argand, La Tectonique de l'Asie , "Congrès géologique international, Comptes rendus de la XIIIe session, en Belgique 1922". Liège, 1924, p. 171-372.
Les travaux géologiques d'Émile Argand (1879 – 1940)
Dessinateur chez un architecte et autodidacte, Émile Argand commence des études de médecine à Lausanne, tout en s'occupant de géologie dans ses loisirs. Grâce à sa grande érudition (il lit une douzaine de langues) et à ses aptitudes remarquables pour la géologie, il se fait remarquer et peut rejoindre le laboratoire de géologie du professeur Lugeon, où rapidement il excelle dans la compréhension de la tectonique alpine. En 1911, il obtient un poste de professeur de géologie à Neuchâtel et publie un mémoire sur les Alpes occidentales, qui devient la référence des géologues alpins. Il explore ensuite l'Asie et son chef d'œuvre, La Tectonique de l'Asie , paraît en 1924. Il inaugure alors une tectonique nouvelle, basée sur la prédominance des mouvements horizontaux. Après ce travail monumental, il cesse pratiquement son activité en géologie.
Émile Argand est un solitaire. Il élabore ses idées nouvelles et audacieuses grâce à sa formidable connaissance de la littérature géologique et à la perspicacité de ses propres observations, mais il ne sait pas attirer à lui des forces capables d'amplifier son propre message. Il soutient peu l'action de ses disciples. Les géologues alpins reconnaissent son travail de pionnier en tectonique, soulignent le grand intérêt de ses cartes et le caractère brillant de ses exposés, mais ils ignorent ses idées sur les translations continentales qui, malheureusement, ne seront pas reprises et complétées.
Apports de La Tectonique de l'Asie, 1924
L'ouvrage majeur d'Argand, La Tectonique de l'Asie , est publié en 1924. Il reprend le texte d'une conférence donnée à l'ouverture du Congrès Géologique International de 1922. L'ouvrage comporte 31 chapitres. Dans les 26 premiers chapitres, c'est-à-dire dans la plus grande partie du livre, Argand développe ses nouvelles idées en tectonique ; dans les 5 derniers, il prend parti pour la théorie des translations continentales de Wegener, en montrant comment elle permet de comprendre les figures tectoniques du globe.
Les idées tectoniques
Au début du XXème siècle, la grande majorité des géologues admettent que la Terre se refroidit et qu'en raison de la contraction thermique, sa croûte se plisse en formant les chaînes de montagnes. Le refroidissement est donc le moteur de la tectonique. Dans les chaînes de montagnes, on observe de grands charriages, qui impliquent que des pans entiers de montagnes ont été déplacés, poussés sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres, pour reposer sur d'autres masses rocheuses, qui, elles aussi, ont subi d'autres plissements et translations. À l'époque où ces structures sont découvertes, les géologues considèrent que la formation des chaînes de montagnes se prépare dans les géosynclinaux. Il s'agit de zones très longues mais relativement étroites, qui s'étendent entre de vastes aires continentales stables (voir, par exemple, la carte des aires continentales d'Émile Haug). Les géosynclinaux s'approfondissent graduellement en se remplissant d'épaisses séries sédimentaires. Lors de la contraction thermique du globe, ils sont resserrés entre deux aires continentales et se plissent sous l'effet des forces tangentielles pour former une nouvelle chaîne de montagnes.
Si au début du XXème siècle, les mouvements horizontaux sont donc pleinement reconnus, ceux-ci sont toujours considérés comme étant la conséquence de mouvements verticaux à l'origine. Devant l'ampleur des grands charriages et celle des plis de fond qui affectent l'ensemble des socles continentaux, Argand inverse le lien de dépendance. Pour lui, tout se ramène à des actions horizontales : « Il semble qu'il n'y ait aucun jeu tectonique [...] vertical, qui ne puisse être regardé comme la manifestation ou la conséquence directe ou indirecte, rapprochée ou lointaine, à délai relativement bref ou à très longue échéance, de déformations en volume dans lesquelles prévalent ou ont prévalu des jeux horizontaux » (p. 269). Les mouvements d'apparence verticaux ne sont donc qu'une des manifestations des forces horizontales. Le retournement du point de vue est considérable.
La vison tectonique proposée par Argand est grandiose. Certes, l'étude de l'Asie occupe dans l'ouvrage une grande place, mais l'auteur jette un regard sur tous les autres continents pour faire émerger une nouvelle conception des « dislocations » de l'écorce terrestre : « Sous le signe de l'Asie, c'est la planète tout entière que j'ai essayé d'embrasser dans une certaine vision ». L'un des intérêts de son ouvrage est qu'il mêle des descriptions régionales précises à des considérations plus générales sur les plissements, montrant comment les deux approches peuvent se féconder mutuellement. Argand développe également avec bonheur une tectonique en mouvement : « Les volumes, les surfaces, les lignes, en un mot les structures qui composent un édifice tectonique ne sont pas tout : il y a le mouvement qui anima, qui anime encore ces choses, car l'histoire continue et nous vivons, sans privilège d'aucune sorte, à un instant quelconque de cette grande affaire. Nous dirions volontiers qu'il y a une tectonique en arrêt et une tectonique en mouvement. La première, c'est l'art de définir l'état présent des structures : il n'y faut que des observations bien faites, complétées, je n'ai pas à dire ici comment, par de bons rapprochements et par de bonnes interprétations. En arrêt par son attitude devant les choses, cette tectonique-là ne saurait se suffire, car les choses, elles, ne s'arrêtent pas. La tectonique en mouvement ce serait, au terme, une tectonique achevée, une histoire ininterrompue des déformations de la· planète, où tous les témoignages viendraient se relier sans lacune. (…) Notre ambition, plus mesurée, est de revoir, en la précisant, de la tectonique en arrêt, et de faire voir de la tectonique en mouvement. Nous ne prétendons pas réduire la tectonique à la physique : c'est affaire à l'avenir. Nous ne voulons que susciter, autant que le permettent les lacunes encore immenses des témoignages, l'image de formes en mouvement et la vision, hélas très incomplète, d'une histoire. (...) Il n'y a pas de synthèse tectonique sans la vision d'un continu à trois dimensions en train de se déformer. » (p. 172-173).
Les idées mobilistes
Argand se dit concerné par la théorie de Wegener dès 1915, et surtout 1918. Ses conceptions se sont donc développées au cours de plusieurs années, parallèlement à celles du savant allemand. Il contribue fortement à introduire la théorie de la dérive des continents dans le monde francophone : c'est lui qui introduit la distinction entre les théories fixistes et les théories mobilistes, et c'est dans son laboratoire que la première traduction française de l'ouvrage de Wegener est effectué en 1924 par Manfred Reichel. Argand assure d'ailleurs avoir « revu avec M. Reichel une grande partie du manuscrit de la traduction, et il est peu de pages dont nous n'ayons fait ensemble l'examen au triple point de vue du fond, des nuances de l'allemand et de l'ordre français ».
Argand apporte sa contribution principale à la théorie des translations dans La Tectonique de l'Asie . Grâce à son expérience tectonique sans équivalent, il montre comment les enquêtes géologiques, minutieusement menées à travers les descriptions régionales du monde entier, permettent d'illustrer les thèses de Wegener. En particulier, il met en évidence comment l'analyse géométrique des structures géologiques rencontrées dans les continents permet de reconstituer les déplacements continentaux. Il est ainsi persuadé que la théorie des translations donne un cadre explicatif extrêmement cohérent et au très fort potentiel pour rendre compte des structures géologiques de la planète.
Argand propose également une nouvelle interprétation des géosynclinaux, qui ne résultent pas de la contraction thermique du globe mais qui sont la conséquence d'un étirement : « La théorie mobiliste a quelque peu négligé la notion de géosynclinal. Il convient d'esquisser un raccord. Un géosynclinal résultera en général d'une traction horizontale qui étire le radeau de sal [le sial]. L'étirement est d'abord plus aisé dans les profondeurs du sal que dans les hauts, où peuvent naître des fissures d'extension. En s'amincissant, le sal descend et se creuse. L'affaissement inhérent à la fonction géosynclinale n'est pas demandé à un jeu radial ordinaire : il n'est que l'effet vertical d'une distension horizontale. (…) La compression vient-elle à remplacer la traction, les serres se rapprochent et le jeu géosynclinal classique avec son plissement embryonnaire par cordillères, sillons et avant-fosses véritables, commence : la conclusion, presque toujours, est la mise en place de deux chaînes géosynclinales à déversements opposés. La traction continue-t-elle, au lieu de céder le pas à la compression, le sal finit par s'étirer et le sima apparaît au fond de l'alvéole. Sur les diamètres où cela arrive, la condition géosynclinale fait place à la condition océanique ; si le fait se généralise, il n'y a plus qu'un océan. » (p. 299). On n'est pas très loin des idées que développera Holmes en 1929, en liaison avec des mouvements de convection sous-jacent.
Argand n'élude pas le problème si énigmatique des forces motrices, tant pour les déplacement continentaux que pour les déformations tectoniques, même s'il n'a pas de solution à proposer : « Il va de soi que la théorie mobiliste devra s'occuper de trouver une source d'énergie adéquate non seulement au travail de translation, mais encore au travail considérable que nécessite le jeu des plis de fond » (p. 298).
Le soutien d'Argand aux thèses de Wegener est donc considérable et son nom est souvent associé à celui du savant allemand pour présenter la théorie mobiliste. L'extrait que nous donnons ci-dessous constitue l'essentiel du 27ème chapitre de La Tectonique de l'Asie , qui est le premier chapitre sur les cinq qu'Argand consacre aux translations. Il oppose les théories fixistes et mobilistes et montre comment les premières ne peuvent rendre compte des nouvelles découvertes tectoniques, en particulier de l'importance des plis de fond qui affectent l'ensemble des socles continentaux.
Extrait de La Tectonique de l'Asie, p. 288-293
« XXVII
Jusqu'à ce point, un souci de tectonique concrète nous a incliné à chercher, sans trop d'égards aux théories de la Terre, la solution des problèmes anciens et de ceux qui naissaient à chaque pas. Nous avons trouvé, en chemin, beaucoup de choses, et dans le nombre, des résultats généraux qui ne peuvent manquer d'orienter nos démarches en la brève mais inévitable confrontation qui nous attend. La réduction des mouvements verticaux au rang de petits effets subordonnés à un écoulement plastique essentiellement horizontal ; le rattachement des jeux d'axe à des événements du même ordre ; le haut degré de liaison qui paraît en tant d'aspects continus ; la certitude du fait que des talus continentaux, couverts de dépôts frais et bien plastiques, peuvent jouer à peu près comme une moitié de géosynclinal et donner naissance à des chaînes neuves d'un tonnage élevé ; le jeu lourd et puissant des plis de fond ; l'aisance avec laquelle la déformation plastique travaille la masse entière des continents, de si haut figé ; le renversement complet des idées reçues quant à la prépondérance énergétique des chaînes géosynclinales : voilà des résultats dont la portée sera difficilement méconnue.
Le même souci du concret nous a fait conduire l'exposé, pour l'intérieur des continents, à très peu près comme si les problèmes auxquels nous pensons ne se posaient pas à l'échelle supérieure.
En approchant certaines lisières marines de l'Eurasie, nous n'avons pu maintenir en rigueur ce parti ; on l'a bien vu. En Asie orientale, c'est tout-à-fait impossible à moins de se borner, dans la règle, au catalogue analytique des faits connus.
Nous avons des théories par douzaines, avec beaucoup moins de chances de les voir s'accorder. Mais il semble bien que la lutte se concentre, de nos jours, entre les théories qui impliquent la fixité des continents et l'hypothèse des grandes translations, conçue et fortement exposée par M. WEGENER.
La confrontation complète de ces théories entre elles et avec les faits ne saurait trouver place ici. Même limitée aux exigences de la géologie ou simplement de la tectonique, elle excéderait mon dessein présent ; je m'en expliquerai peut-être ailleurs. Mais cette confrontation, je l'ai faite pour la Terre entière, dans la mesure de mes moyens. Depuis 1915 et surtout depuis 1918, j'ai longuement scruté le degré de crédibilité de la théorie des translations, en faisant intervenir tout l'atlas de formes tectoniques dont je puis disposer et tous les jeux de mouvements que je puis voir. En sorte que si le temps me manque aujourd'hui pour motiver quelques-unes de mes appréciations, on ne pourra cependant, sans excès, les juger hâtives ou dénuées de fondement.
Je ne pense qu'à abréger en employant, pour caractériser l'essentiel des deux attitudes, les expressions de fixisme et de mobilisme .
Le fixisme n'est pas une théorie, mais un élément négatif commun à plusieurs théories. À bien voir les choses, il n'est que la non-position d'un problème qui est précisément celui du mobilisme, et il ne se définit que par rapport à lui. En rigueur, il ne saurait être démontré ou infirmé ; c'est le lot de toute idée qui compte sur l'absence de témoignages.
Le pouvoir constructeur et les dangers du fixisme ne commencent qu'avec son association à des vues positives, auxquelles il communique, du reste, le principe d'inertie qui est en lui. On l'associe habituellement, mais non nécessairement, à la théorie de la contraction et à la vue suivant laquelle les fonds océaniques sont tout ensemble de même nature et de même épaisseur que les fonds continentaux, dont ils ne différeraient que par l'intervention de larges affaissements, de jeu radial.
Avec plus d'un contemporain, je tiens cette dernière vue pour totalement incompatible avec l'isostasie. Je pourrais donc arrêter ici cette appréciation du fixisme traditionnel et passer immédiatement à d'autres considérations. Je veux cependant essayer de marquer le terme auquel il paraît tendre et la vision dernière qu'il donne des choses.
Une marqueterie d'aires continentales et de géosynclinaux, de pièces rigides et d'articulations souples, règne sous les océans comme dans les continents et dans leurs annexes. Marqueterie demeurée debout, ou abîmée par larges affaissements, ou inexaltée, peu importe en première ligne : les grandes règles du jeu sont les mêmes partout. Des géosynclinaux se forment; ils se comblent de plis qui tendent à se ranger en chaînes doubles et parfois autrement ; ils se reforment en se localisant, et ainsi de suite jusqu'à extinction de la puissance. De grands effondrements s'affirment, qui ont pour conséquence des poussées latérales. Les chaînes réagissent par des plissements et par des charriages qui, même considérables, demeurent locaux à l'égard de l'ensemble. À voir cet ensemble, tout s'incruste sur place, avec le temps, dans le sens vertical.
Cette vue classique, en la supposant juste, doit naturellement se fondre avec les plus grands des aspects révélés par notre enquête, et singulièrement avec le jeu des plis de fond, manifestation principale du plissement de cette planète, et réalité indépendante de toute théorie. (…)
Mais les difficultés de la théorie de la contraction – supposée liée au fixisme – sont de beaucoup accrues par la nécessité de rendre compte des plis de fond. D'aucuns tenaient déjà la contraction pour inadéquate à l'explication du raccourcissement total dû aux plissements ordinaires. Il y aurait beaucoup à dire sur ce point et plus encore sur une question préalable, qui est celle des moyens d'estimer le raccourcissement. Mais passons. Les plis de fond comportent, comme les chaînes neuves, de grands charriages qui ne facilitent ni l'estimation du raccourcissement, ni la tâche du contractionnisme fixiste. Mais ils impliquent surtout une dépense énergétique qui dépasse énormément tout ce qu'on a pu considérer jusqu'à aujourd'hui. En estimant le tonnage des plis de fond un peu rég1és, pour toute la Terre, à dix fois celui des chaînes neuves on reste certainement au-dessous de la réalité ; et comme les grands boucliers anciens ne sont, pour l'essentiel, que de très vastes plis de fond, de grands brachyanticlinaux de fond , c'est cinquante à soixante fois qu'il faut dire ou davantage. Et puis tout cela n'est encore que le rapport volumétrique : pour passer au rapport énergétique, il faut tenir compte du degré élevé de figé et multiplier par un coefficient qu'on ne saurait indiquer exactement aujourd'hui, mais qui est certainement considérable. Voilà bien des sujets de méditation en quelques mots.
(...)
J'ai longuement soupesé les conséquences tectoniques de l'hypothèse suivant laquelle les fonds océaniques seraient faits d'un sima entièrement recouvert d'un sal plus mince que celui des continents. Cette hypothèse, dont le principe remonte à AIRY, a été cultivée par Osmond FISHER et par LIPPMANN. Elle permet de concevoir des dérives continentales entravées par le voile de sal qui subsiste au fond de l'océan, et que cette poussée contribue à plisser. Appliquée aux Océanides et aux objets de même apparence que montrent l'Océan Indien et l'Océan Atlantique, elle rendrait compte de l'élégante liberté avec laquelle ces arcs semblent se répandre. On aurait affaire à des plis de fond d'espèce particulière, aux plis d'un fond mince , qui joueraient avec une certaine agilité, couvertures comprises, et que rien n'empêcherait, le cas échéant, de se compliquer de chaînes neuves. On peut souvent s'arranger pour rendre l'hypothèse des fonds minces compatible, qualitativement, avec la répartition de la pesanteur ; mais cette hypothèse, étendue à tout le domaine océanique, est tenue pour peu conciliable avec la distribution du magnétisme terrestre. On accueillera donc avec une certaine réserve l'idée des jeux dont je viens de parler, en se souvenant toutefois que si la théorie des grandes translations est vraie, il peut exister en plus d'un fond des restes de sal aminci par des étirements antérieurs, et dans lesquels ces jeux peuvent se produire.
La validité d'une théorie n'est rien autre que son aptitude à représenter l'ensemble des faits connus au moment où elle a cours. À ce compte, la théorie des grandes translations continentales est d'une validité florissante. Dans ses commencements, elle a visé à l'absolu ; dans la suite, elle a beaucoup gagné en force et en souplesse, sans rien sacrifier de son armature rationnelle, au contraire enrichie et de mieux en mieux harmonisée à la vision qui mène l'ensemble. Ce travail d'épuration et d'affinement est très sensible au long de la série des ouvrages de M. WEGENER. Fortement établie aux points de rencontre de la géophysique, de la géologie, de la biogéographie et de la paléoclimatologie, elle n'a pas été réfutée. Il faut avoir longuement cherché des objections, et surtout en avoir trouvé quelques unes, pour estimer à son prix l'espèce d'immunité qui la distingue, et qui lui vient d'une extrême flexibilité jointe à une grande richesse en tours opératoires. On pense tenir une objection décisive; encore un coup et tout va craquer; mais rien ne craque : on n'a oublié, qu'un ou plusieurs tours. C'est la résistance protéenne d'un univers plastique.
Les objections se multiplient, assurément, mais presque toutes sont du genre que je viens de dire. De celles qu'on a publiées, ou auxquelles on peut penser, le petit nombre porte, atteint quelques accessoires et jamais, en l'état présent, les parties vitales.
En sorte qu'il est très vrai de parler de la validité de cette théorie, au sens que je viens d'indiquer.
Le non-avénement d'une réfutation ne saurait, en rigueur, être tenu pour une preuve. En rigueur toujours, bien des témoignages positifs peuvent n'avoir que la valeur d'arguments. Des faits nouveaux peuvent se rencontrer, qui aient force d'obstacle inébranlable. D'autres théories fixistes ou mobilistes peuvent naître, ou renaître sous des formes rajeunies. Marcel BERTRAND n'a-t-il pas proposé, dans la fougue de ses derniers travaux, de faire tourner tout d'une pièce une certaine enveloppe du globe astreinte à se déformer sur un certain noyau ?
Mais dans le présent, il semble bien qu'aucun fait ne soit assez contrariant pour nous empêcher de goûter, sur ces radeaux où flottent nos destins, le délice des sages emportements auxquels nous convie M. WEGENER.
XXVIII
La valeur d'une théorie est tout entière dans la conformité entre les conséquences qui s'en déduisent et les faits bien observés. Elle dure juste autant que cette conformité, dont le mobilisme actuel offre de nombreux exemples que je n'ai pas à rappelé. »
L'article ci-dessous a été réalisé avec le soutien financier de Sciences à l'École dans le cadre de l'opération LUNAP.
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