Les foraminifères

Les foraminifères : Indicateurs des climats du passé et vigies modernes des océans

par Christophe Fontanier MCF-HDR

Les foraminifères sont des organismes unicellulaires marins appartenant au groupe phylogénétique des Rhizaires (Bikonta, Eukaryota). Ils ont la particularité de posséder une coquille appelée « test ». Le test est perforé de pores d’où le nom « foraminifère » (foramen = trou, ferre = porter).

De gauche à droite :

Spirillina striatogranulosa, une espèce de foraminifère benthique à coquille calcaire (photo de C. Fontanier).

Hormosinella guttifera, une espèce de foraminifère benthique à coquille agglutinée (photo de C. Fontanier).

Globigerinita glutinata, une espèce de foraminifère planctonique (photo de M. Kucera).

Les espèces planctoniques occupent les premières centaines de mètres des océans et des mers du globe, depuis les zones polaires jusqu’à l’équateur. Elles se déplacent au gré des courants et leur distribution est largement dépendante de la température, de la salinité et de la richesse en nutriments des eaux marines.

Les 5 grandes provinces latitudinales occupées par les foraminifères planctoniques modernes. Les courbes d’abondance dans le panneau inférieur sont basées sur les données de l’Océan Atlantique (Kucera et al., 2005).

Pour plus d’informations, se référer à Kucera (2007).

Les espèces benthiques vivent au fond des mers et océans, dans les premiers millimètres/centimètres du sédiment. Elles occupent des habitats très variés tels les estuaires, les barrières récifales, les zones hydrothermales abyssales, les champs de pockmarks et les parties les plus profondes de l’Océan Pacifique. Leur dynamique spatiale et temporelle est contrainte par de nombreux paramètres tels les processus hydro-sédimentaires, les apports de détritus organiques ou l’oxygénation des eaux baignant le fond des mers.

Les 6 facteurs environnementaux majeurs contraignant la dynamique spatiale et temporelle des faunes de foraminifères benthiques. Certains facteurs reliés par les double-flèches sont fortement interdépendants (D’après C. Fontanier).

On estime à environ 40.000 le nombre d’espèces fossiles et près de 10.000 le nombre d’espèces existant encore de nos jours. Ceci dit, les espèces actuelles de foraminifères planctoniques sont largement sous-représentées avec une cinquantaine de taxons seulement. Les foraminifères proviennent de lignées complexes et nombreuses, développées depuis le début du Paléozoïque pour les espèces benthiques (~550 millions d’années) et le Mésozoïque pour les espèces planctoniques (~250 millions d’années).

Le test des foraminifères est très variable, aussi bien en composition qu’en forme. Il peut être uniquement organique ou composé de particules terrigènes ou biogènes agrégées ou bien formé de calcaire biominéralisé (calcite ou aragonite). Alors que les espèces actuelles ne mesurent généralement que quelques centaines de µm, certaines taxons peuvent atteindre un diamètre de près de 10 cm. La taxonomie moderne (classification) des foraminifères benthiques et planctoniques est basée sur les critères morphologiques, structurales et texturales de ces tests.

Les morphologies variées de foraminifères benthiques du Golfe de Guinée (Fontanier et al., 2014a) :

A-B. Le test bisérié de Bolivina albatrossi.

C. Le test trochospiralé de Ceratobulimina contraria.

D. L’enroulement trisérié d’Uvigerina peregrina.

E-F. Le test planispiralé de Melonis barleeanus.

Si les foraminifères sont des organismes particulièrement précieux pour les reconstitutions paléo-océanographiques et les études de suivis environnementaux (biomonitoring et étude d’impact), c’est qu’ils possèdent de nombreuses qualités (Gooday, 2003 ; Murray, 2006 ; Kucera, 2007) :

  • Ils sont présents sur près de 2/3 de la surface du globe, dans presque toutes les mers du globe et dans tous les océans. Leur habitat s’étend des zones côtières aux fosses océaniques les plus profondes ;
  • Ce sont des bio-indicateurs fiables car très sensibles aux facteurs environnementaux (température, salinité, matière organique, oxygène dissout, processus hydro-sédimentaire,...) prévalant dans les eaux de surface, les eaux de fond et le sédiment ;
  • Du fait de leur abondance et de leur fort potentiel de fossilisation, il est possible d’étudier les faunes vivantes et fossiles des foraminifères benthiques et planctoniques avec seulement quelques cm3 de sédiment ;
  • Leur test en calcaire contient des traces de nombreux éléments chimiques (Mn, Sr, Mg, B, …) dont l’analyse permet de définir les conditions géochimiques des milieux de vie des foraminifères, milieux naturels ou affectés par l’activité de l’homme ;
  • Du fait de leur rapide évolution au cours des temps géologiques, les foraminifères sont d’excellents marqueurs biostratigraphiques qui permettent de dater les dépôts sédimentaires dans lesquels ils ont fossilisés depuis des centaines de millions d’années ;
  • Les tests de foraminifère peuvent finalement servir de support à des datations 14C et à des analyses isotopiques (e.g. d18O) permettant d’établir des charpentes chronologiques solides des archives sédimentaires étudiées.

1er exemple d’utilisation des foraminifères : L’étude des cycles glaciaires-interglaciaires du Quaternaire (derniers 2.6 Ma)

Durant les deux derniers millions d’années, la Terre a été le théâtre de variations climatiques de grandes ampleurs caractérisées par une alternance de périodes plus chaudes et surtout beaucoup plus froides qu’actuellement. Durant les périodes de climat plus chaud, les glaces se retirèrent vers des latitudes plus septentrionales et les zones polaires laissèrent derrière elles des paysages aplanis et couverts de moraines glaciaires. Le niveau de la mer montait plus haut qu’aujourd’hui. Durant les périodes froides, la formation d’énormes glaciers dans le nord de l’Europe et de l’Amérique transformèrent le paysage. Les modelés et les dépôts d'origine glaciaire (fjords, moraines et lacs glaciaires) constituent de nos jours les marques les plus facilement repérables de l'extension passée des glaciations d’antan. Dans le monde végétal, les glaciations modifièrent également profondément la répartition géographique des espèces. Les régions des grandes plaines européennes et américaines se transformèrent en toundra et en steppes désolées. Dans tous les océans du globe, le niveau marin s’abaissa de plusieurs dizaines de mètres par la suite de la constitution des glaciers et des calottes glaciaires. Et les eaux de surface se refroidirent globalement.

Ces glaciations, qui se sont succédées au cours des derniers millions d’années de l’histoire de la Terre, ne sont connues que de manière indirecte par les marques plus ou moins visibles ou accessibles qu'elles ont laissées (étude des fossiles d’animaux et des pollens, position des moraines glaciaires ou des lignes de rivage). Ces traces permettent aux climatologues de proposer une reconstitution qualitative des climats passés. Cependant, les enregistrements continentaux sont trop souvent morcelés et/ou incomplets. Dans le domaine océanique profond, la sédimentation peut être considérée comme continue et sans remaniement important. Les particules qui s’accumulent au cours du temps (parmi lesquelles, les tests de foraminifères benthiques et planctoniques) constituent des couvertures sédimentaires pouvant atteindre plusieurs milliers de mètres par endroits. Leur étude permet de reconstituer les conditions climatiques qui régnaient sur le globe au moment de leur dépôt.

C’est notamment l'analyse des foraminifères contenus dans les sédiments qui permet d’apprécier les changements de température durant les 500 derniers millénaires (voir courbe du d18O de Cibicides wuellerstorfi). Aux informations apportées par l’étude des faunes fossiles de foraminifères, s’ajoutent les données issues de l’analyse géochimique des tests. En effet, les proportions entre les isotopes 18O et 16O dans des coquilles calcaires dépendaient de la température de l’eau où elles se constituaient. L’analyse du rapport de ces isotopes dans les tests des foraminifères (rapport décrit par la formulation d18O) permet aux climatologues de connaître de façon très précise les conditions environnementales passées, à savoir la température et la salinité des eaux dans lesquelles vivaient les foraminifères ainsi que la quantité de glace stockée dans les glaciers et les inlandsis des hautes et moyennes latitudes. La signature d18O des foraminifères est ainsi plus élevée lors des périodes glaciaires et plus basses lors des périodes de réchauffement climatique. En d’autres termes, les courbes d18O des foraminifères (benthiques ou planctoniques) constituent non seulement des données incontournables pour apprécier les changements brutaux des climats du passé mais également des références chronologiques pour dater les strates de sédiment à l’échelle mondiale.

La courbe noire représente le d18O d’une espèce de foraminifère benthique fossile (Cibicides wuellerstorfi) dans une longue archive sédimentaire prélevée au large de l’Afrique du Sud. Ses oscillations témoignent des grandes variations climatiques au sein des cycles glaciaire-interglaciaires, sur plus de 550.000 années.

Les courbes colorées correspondent à des espèces de foraminifères planctoniques vivant actuellement dans différentes provinces climatiques. Les changements de faunes planctoniques suivent parfaitement les grands bouleversements climatiques (Modifié de Peeters et al. (2004) par Kucera, 2007).

Actuellement de nombreux laboratoires cherchent à prévoir le climat des prochaines décennies en comprenant l’évolution naturelle de notre climat (basée sur la compréhension du climat passé) et en essayant de quantifier l’impact des activités humaines (rejet de gaz à effet de serre). Dans la simulation la plus catastrophique, il est envisagé une augmentation de près de 5°C de la température atmosphérique en 2100 par rapport à 1850 (GIEC, 2013). Ce qui est certain, c’est que de 1971 à 2010 les eaux de surface des océans se sont réchauffées de 0.44°C alors que la température de l’atmosphère a augmenté de 0.85°C entre 1880 et 2012. Les foraminifères pourraient se révéler des bio-indicateurs extrêmement utiles pour traquer les modifications futures des eaux de surface de l’océan mondial en réponse aux bouleversements climatiques à venir.

2e exemple d’utilisation des foraminifères : Les bio-indicateurs actuels d’instabilité sédimentaire sur les marges océaniques

De part leur nature, les foraminifères benthiques vivent en contact quasi-permanent avec une matrice sédimentaire extrêmement complexe et dont la dynamique spatio-temporelle constitue en soi un facteur de contrôle majeur dans la structure des communautés benthiques vivantes et mortes. L’étude des faunes modernes de foraminifères benthiques (diversité, densités, microhabitats) – via une approche pluridisciplinaire - permet d’apprécier le rôle joué par ces contraintes hydro-sédimentaires variées sur la diversité des faunes et sur la dynamique des communautés benthiques.

Ces dernières années, des travaux écologiques ont notamment ciblées les faunes de foraminifères se développant dans des environnements sédimentaires extrêmement complexes où l’instabilité environnementale prévaut (e.g., plateau impacté par des tsunamis, canyons actifs à écoulement turbiditique, pente à néphéloïde, zone prodeltaïque soumis aux dépôts de crue, bassin à sédimentation volcano-détritique) (e.g., Fontanier et al., 2013 ; Goineau et al., 2013 ; Toyofuku et al., 2014).

Schéma de synthèse illustrant l’impact environnemental de l’instabilité hydro-sédimentaire lié au tsunami du 11 mars 2011 au Japon (Toyofuku et al., 2014). La zone d’étude se trouve au nord de Sendai – au large d’Hachinohe. Alors que, 5 mois après le tsunami, la diversité des foraminifères benthiques reste très élevée sur le plateau (station 1, 2 et 3), des faunes opportunistes (« pioneer species ») recolonisent le haut de pente (station 4) où s’est déposé un épais lit sableux associé à un dépôt gravitaire.

Ces travaux ont permis de faire ressortir la pertinence de l’outil « foraminifères » comme bio-indicateurs des conditions sédimentaires prévalant dans ces écosystèmes complexes. Bien que le flux de matière organique détritique et les conditions d’oxygénation demeurent des paramètres interdépendants qui contraignent fortement la structure des communautés benthiques, ces deux paramètres sont intimement liés à l’ensemble des processus hydro-sédimentaires contrôlant les apports particulaires à l’interface eau-sédiment. En outre, un large effort a également été entrepris pour simuler in-situ des stress hydro-sédimentaires possibles contraignant la dynamique des foraminifères benthiques (e.g., Hess et al., 2013).

Il ressort de tous ces travaux que les faunes de foraminifères benthiques – qualifiées d’opportunistes - sont capables de recoloniser très rapidement (quelques jours/semaines) des substrats perturbés et sont donc de très bons bio-indicateurs des modifications des milieux sédimentaires en relation avec la variabilité naturelle des géosystèmes et en relation éventuelle avec les activités humaines (e.g., Fontanier et al., 2012 ; Toyofuku et al., 2014).

Aussi l’outil « foraminifères benthiques » en tant que bio-indicateurs environnementaux est-il utilisé en routine dans de nombreuses études d’impact que ce soit dans des zones de décharge industrielle en mer (ex. résidus de bauxite) ou encore autour des plates-formes de forage (ex. cuttings), et ceci dans le but de déterminer l’extension des perturbations environnementales ainsi que la résilience des écosystèmes affectés (e.g., Fontanier et al., 2014b).

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