Créer un site internet

Les acteurs clés de la Communauté Internationale

 

ACCUEIL

CATALOGUE DES 12310 LIVRES

ÉDITEURS

AUTEURS

 

Presses de l’Université de Montréal

Chapitre 1. L’analyse des relations internationales

Chapitre 3. La politique étrangère des États

INTRODUCTION AUX RELATIONS INTERNATIONALES

  | 

Diane Éthier

Chapitre 2. Les acteurs des relations internationales

RECHERCHER DANS LE LIVRE 

TABLE DES MATIÈRES

CITERPARTAGER

ORCID INFOAJOUTER À ORCID

ALTMETRICS

Voir les détails

Chapitre 2. Les acteurs des relations internationales

p. 75-134

TEXTE NOTES NOTES DE FINILLUSTRATIONS

TEXTE INTÉGRAL

Les États

1Les théories des relations internationales définissent l’État de diverses façons. Ainsi, pour les libéraux classiques, l’État est l’incarnation de la Raison ou de l’Intérêt général. Pour les néolibéraux, il est le lieu d’arbitrage des conflits entre les groupes d’intérêt de la société. Pour les réalistes, il est l’expression de la puissance et de la souveraineté de la nation. Pour les marxistes, il est l’instrument dont se sert la classe dirigeante pour imposer sa domination aux autres classes. Dans le langage courant, l’État est généralement assimilé à l’ensemble des institutions qui le constituent – les assemblées parlementaires (pouvoir législatif), le chef de l’État et le cabinet ou gouvernement (pouvoir exécutif), les tribunaux (pouvoir judiciaire), l’armée et la police (pouvoir répressif), la fonction publique, les entreprises et les services publics – et il est encore souvent confondu avec la nation. Cependant, dans la pratique des relations internationales, c’est la définition que donne le droit international public de l’État qui est généralement utilisée. C’est donc à cette dernière que s’intéressera cette section.

2Selon le droit international public, l’État comporte cinq éléments : un espace territorial, une population, un système de gouvernement, une personnalité juridique internationale, la souveraineté.

Un espace territorial

3Un État ne peut exister sans territoire. C’est pourquoi la sauvegarde du territoire a une importance suprême pour les États ; la majorité des conflits internationaux dans l’histoire ont été motivés par la défense ou la conquête d’un territoire. L’existence d’un État implique qu’il exerce des droits souverains et exclusifs sur une zone géographique déterminée qui est constituée par trois éléments : la terre, l’eau et l’air.

4L’espace territorial terrestre. L’espace terrestre est délimité par des frontières naturelles (cours d’eau, montagnes, océans) ou artificielles (longitude, latitude) fixées par un traité. Dans les faits, les frontières terrestres de plusieurs États continuent à faire l’objet de contestations, soit parce qu’elles n’ont pas fait l’objet d’un acte juridique, soit parce que cet acte juridique n’est pas accepté par les autorités de l’État concerné. Cette situation est la cause de conflits parfois très violents et meurtriers. Ainsi la guerre livrée par le Paraguay à ses voisins en 1865-1870 lui a coûté les deux tiers de son territoire et 65 % de sa population. De même, les affrontements sino-vietnamiens de 1979 ont été responsables de 70 000 blessés ou tués.

5La délimitation de l’espace terrestre des États est complexifiée par le fait que plusieurs d’entre eux possèdent un plateau continental qui se prolonge sous la mer. Cette situation a été la source de nombreuses controverses car les règles définissant la souveraineté des États sur leur plateau continental demeuraient incomplètes, en dépit des conventions de Genève de 1958 et 1960 sur le droit de la mer. Ainsi un différend a opposé la France et le Canada entre 1966 et 1989 relativement au partage de la souveraineté des deux pays sur les eaux recouvrant le plateau continental de l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon. La France revendiquait des droits de souveraineté sur une zone de 200 milles marins au large des côtes de l’archipel, alors que le Canada prétendait que la souveraineté de la France devait être limitée à 12 milles marins sous peine d’un large empiètement sur ses propres eaux territoriales. En 1989, un tribunal d’arbitrage a finalement statué en faveur du Canada en limitant la souveraineté de la France à 12 milles marins, sauf pour un corridor de 10 milles marins de largeur s’étendant jusqu’à 200 milles marins au sud de l’archipel1. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, adoptée en 1982 et entrée en vigueur en 19942, à la suite de sa ratification par 60 États, a clarifié les règles relatives à la souveraineté des États sur leur plateau continental. Elle stipule qu’un État exerce une souveraineté absolue sur les eaux qui bordent ses côtes jusqu’à 12 milles marins, qu’il possède ou non un plateau continental. Elle ajoute que tout État qui possède un plateau continental se prolongeant au-delà de 12 milles marins détient une souveraineté contiguë sur la zone comprise entre 12 milles et 24 milles marins et une souveraineté exclusive sur la zone comprise entre 24 milles et 200 milles marins. La souveraineté contiguë signifie que l’État peut exercer les contrôles nécessaires pour prévenir et réprimer les infractions à ses lois et règlements douaniers, fiscaux, sanitaires ou d’immigration dans sa mer territoriale. La souveraineté exclusive signifie que « l’État a des droits souverains sur l’exploration, l’exploitation, la conservation et la gestion des ressources naturelles, biologiques et non biologiques » de cette zone. Mais les autres États « jouissent de la liberté de navigation et de survol, de la liberté de poser des câbles et pipelines sous-marins et de la liberté d’exploiter la mer à d’autres fins internationalement licites ». La souveraineté exclusive dont jouissent plusieurs États sur leur zone économique entre 24 et 200 milles marins ne les empêche pas de conclure des ententes avec d’autres États relativement à l’exploration et l’exploitation des ressources de cette zone. Ainsi, dans le cadre de l’Organisation des pêches de l’Atlantique Nord-Ouest (OPANO), le Canada, l’UE, les États-Unis et les autres États riverains de l’Atlantique Nord-Ouest s’attribuent mutuellement des quotas ou droits de pêche dans leurs zones économiques respectives. La Convention des Nations Unies sur le droit de la mer a aussi établi un régime international de gestion des fonds sous-marins qui s’étendent au-delà de la limite des 200 milles marins sur la base du principe que ces fonds constituent un héritage commun de l’humanité. Toutefois, les grandes puissances ayant refusé de ratifier la Convention en raison de ce régime, ce dernier a été abandonné en 1994 de telle sorte que la gestion de ces fonds demeure jusqu’à ce jour soumise à la loi du marché.

6L’espace territorial aquatique et maritime. L’espace aquatique et maritime sur lequel un État exerce sa souveraineté comprend les mers, les lacs et les cours d’eau enclavés dans son espace terrestre ainsi que la mer qui borde ses côtes jusqu’à 12 milles marins (dans tous les cas) et qui recouvre son plateau continental jusqu’à une limite maximale de 200 milles marins (dans plusieurs cas).

7L’espace territorial aérien. Les conventions de Washington de 1919, de Chicago de 1944 et de Genève de 1958 stipulent que tout État a une souveraineté complète et exclusive sur son espace aérien, i.e. l’espace atmosphérique (entre 3 et 80 kilomètres de hauteur) qui recouvre son espace terrestre et maritime (jusqu’à 12 milles marins). À l’intérieur de cet espace, le survol d’avions militaires est interdit, sauf en cas d’accords explicites avec d’autres États. Par exemple, le Canada a autorisé les avions militaires de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), dont il est membre, à procéder à des exercices dans certaines zones de son espace aérien (au-dessus du Labrador notamment). Il a aussi conclu avec les États-Unis, en 1993, un accord qui permet à ces derniers de tester des systèmes d’armement dans certains secteurs de son espace aérien3. Par contre, en vertu du droit international, chaque pays doit permettre aux avions civils des autres pays de survoler son espace aérien et de faire escale sur son territoire pour des raisons techniques. Le droit d’embarquer ou de débarquer des passagers ou des marchandises est quant à lui conditionnel à la signature d’accords bilatéraux entre les États. En vue de résoudre les problèmes posés par la navigation aérienne civile, les États ont créé la Commission internationale de la navigation en 1919, remplacée par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) en 1944.

8Les États n’exercent aucune souveraineté sur l’espace extra-atmosphérique (au-delà de 80 kilomètres en hauteur) qui recouvre leurs territoires terrestre et maritime. En vertu du traité de 1967 et de l’Accord de 1979 de l’ONU4, l’espace extra-atmosphérique et les corps célestes ne peuvent faire l’objet d’aucune appropriation par les États. En principe, chaque pays a le droit d’installer en orbite des satellites, télescopes, navettes spatiales, systèmes de défense antimissiles ou autre technologie civile et militaire. En pratique, seuls les États-Unis, l’Union européenne (UE), la Russie et la Chine possèdent des véhicules aérospatiaux et des bases de lancement de ces derniers, ce qui leur donne un certain contrôle sur l’espace extra-atmosphérique.

Une population

9Un État ne peut exister sans une population. De plus, très rares sont les États dont la population est constituée d’une seule nation. Soulignons au passage qu’en raison de sa forte connotation subjective et politique, le terme nation a donné lieu à plusieurs définitions. Pour certains, une nation est « une communauté stable d’individus historiquement constituée d’une langue, d’un territoire, d’une vie économique et d’une formation psychique qui se traduit par une communauté de culture ». Pour d’autres, elle est « une âme, un principe spirituel » ou « un riche legs de souvenirs, un désir de vivre ensemble, une grande solidarité, un rêve d’avenir partagé5 ». Les modifications de frontières et les déplacements de populations causés par la décolonisation, les guerres, les conflits internes, les mouvements migratoires et la mondialisation ont fait en sorte que la population d’un grand nombre d’États est aujourd’hui constituée d’une ou plusieurs nations dominantes et de minorités nationales. Le corollaire de cette situation est que plusieurs nations n’ont pas d’État propre (ex. Palestiniens, Kurdes, Québécois). Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, les opinions sont partagées quant aux incidences de la diversité ethnique de plus en plus marquée des États. Certains considèrent qu’elle accroît les risques de conflits internes, en alimentant les mouvements autonomistes ou sécessionnistes et les tendances xénophobes et racistes ; d’autres croient que ces conflits peuvent être évités si les États adoptent une approche démocratique permettant de concilier les libertés individuelles, les droits de la majorité et les revendications identitaires des minorités. Le multiculturalisme canadien est souvent cité en exemple à cet égard. Mais ce modèle ne fait pas l’unanimité. Apprécié dans les sociétés anglo-saxonnes, il est critiqué par la France, le Japon et une partie de l’opinion publique québécoise.

10La population d’un État, quel que soit le degré de son homogénéité ethnique, est constituée de deux catégories d’individus : les nationaux et les étrangers. La nationalité, qui concerne non seulement les personnes physiques mais également les personnes morales (les entreprises, les organisations et les moyens de transport tels les navires et avions), est le lien juridique d’un individu ou d’une personne morale à un État déterminé. Selon la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, « tout individu a droit à une nationalité ». En fait, il arrive que certaines personnes n’aient pas de nationalité : ce sont les apatrides, situation dans laquelle se trouvent plusieurs Roms ou gitans. Par contre, d’autres personnes cumulent plus d’une nationalité. Ces différences sont la conséquence du principe selon lequel chaque État a le droit souverain de déterminer par sa législation les conditions d’acquisition et de perte de la nationalité. Les principaux critères d’attribution de la citoyenneté utilisés par les États sont : la filiation par le sang (jus sanguinis), la naissance ou la résidence sur le territoire de l’État (jus solis) et la combinaison de ces deux critères. Selon la loi fédérale de 1976, les trois critères d’octroi de la citoyenneté au Canada sont le jus sanguinis, le jus solis et la naturalisation. La très grande majorité des pays, dont le Canada, permettent la double ou la multinationalité. Quelques très rares pays interdisent totalement (Haïti, République démocratique du Congo, Mauritanie) ou partiellement (Australie, Belgique) la double nationalité.

11Les nationaux jouissent des droits inclus dans le droit interne de l’État : droit de vote, éligibilité, accès aux emplois publics et aux programmes sociaux, libre accès au territoire national, droit d’y résider, etc. De même, ils sont soumis aux obligations prévues par le droit national, par exemple le service militaire et le paiement de l’impôt sur le revenu. En revanche, les étrangers sont soumis à un régime particulier moins favorable. Il faut cependant observer que le statut juridique des étrangers tend à se rapprocher de celui des nationaux, en raison de la ratification par les États de conventions internationales protégeant les droits des réfugiés6 et des immigrants et d’accords bilatéraux ou multilatéraux conclus par les États en cette matière. Ainsi, depuis l’adoption du Traité sur l’Union européenne (TUE), en 1993, chaque État membre de l’UE est tenu d’accorder aux citoyens des autres États de l’Union des droits égaux à ceux qu’il accorde à ses propres citoyens (droit au travail, droit à la sécurité sociale, droit de vote, etc.). On notera également qu’en vertu de la loi fédérale canadienne de 1976, tout citoyen d’un pays du Commonwealth – et de l’Irlande – jouit des droits concédés à un citoyen canadien lorsqu’il réside au Canada. Du point de vue international, le principal intérêt de la nationalité est qu’elle permet à son détenteur d’obtenir la protection diplomatique de son État lorsqu’il est victime de la violation d’une loi internationale par le pays étranger où il se trouve.

Un système de gouvernement

12Selon le droit international, tout État doit posséder un système de gouvernement. Le principe selon lequel « tout État a le droit inaliénable de choisir son système politique, économique, social et culturel sans aucune forme d’ingérence de la part de n’importe quel autre État » a été reconnu par divers actes juridiques, notamment la résolution du 24 octobre 1970 de l’Assemblée générale de l’ONU et l’acte final de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE) de 1975. Il signifie que les États ne doivent pas lier la reconnaissance d’un autre État ou l’établissement de relations diplomatiques avec ce dernier à la nature de son système politique, économique, social et culturel. Les déclarations mentionnées n’ont cependant pas un caractère obligatoire, de telle sorte que les États demeurent libres de tenir compte ou non de la nature du régime politique d’un État lorsqu’il s’agit de le reconnaître ou d’établir des relations diplomatiques avec lui. Dans les faits, le principe selon lequel la reconnaissance des États doit être indépendante de la nature de leur régime politique est plus ou moins respecté depuis 1945. Les pays occidentaux ont entretenu des relations diplomatiques normales avec la plupart des pays communistes durant la guerre froide. Si les États-Unis ont rompu leurs relations diplomatiques avec la RPC de 1949 à 1971, et fermé leur ambassade à Téhéran, après la révolution islamique de 1979, ils ont maintenu leur ambassade à La Havanne, malgré leur aversion pour le régime de Fidel Castro instauré en 1959. L’Arabie saoudite et le Pakistan ont rompu leurs relations diplomatiques avec l’Afghanistan, après 1992.

13L’application de ce principe soulève parfois des problèmes cependant. Par exemple, la décision de la France et de plusieurs pays de maintenir leurs relations diplomatiques avec le Chili, après le coup d’État du général Augusto Pinochet en septembre 1973, a été critiquée par plusieurs défenseurs des droits de la personne. Une large partie de la communauté haïtienne canadienne a reproché au gouvernement d’Ottawa de ne pas avoir rompu ses relations diplomatiques avec Port-au-Prince, à la suite du coup d’État anticonstitutionnel du général Cedras en 1991.

14Il faut ajouter que le droit international n’interdit pas à un groupe d’États ou à une organisation internationale de conditionner l’octroi d’un avantage à la mise en œuvre de réformes politiques. Les programmes d’aide aux pays en développement sont de plus en plus souvent assortis de conditions telles que l’application des règles de la bonne gouvernance, le respect des droits de la personne, la libéralisation des politiques commerciales et la démocratisation du système politique. Depuis 1962, le respect des valeurs et des normes démocratiques est une condition sine qua non d’adhésion à la Communauté/Union européenne. Pour entrer dans l’UE, les pays de l’Europe centrale et orientale (PECO) se sont vu imposer des conditions supplémentaires : posséder des économies de marché fonctionnelles et capables de concurrencer celles de l’UE ; être en mesure d’appliquer effectivement les normes et valeurs démocratiques ; adopter les législations et réglementations en vigueur dans l’UE7. Depuis 2000, des conditions encore plus exigeantes ont été imposées aux pays candidats de l’Europe du Sud-Est (Balkans et Turquie). Désormais, les chartes d’un grand nombre d’OI (telles que le Conseil de l’Europe, l’Organisation des États Américains (OEA), le Mercosur, l’OTAN, l’UE et l’Union africaine (UA) conditionnent, sinon l’adhésion, du moins le maintien du membership d’un État au respect des règles démocratiques.

15En vertu du droit international, il ne suffit pas cependant qu’un État possède un système de gouvernement. Il faut que ce système soit effectif, c’est-à-dire « que les individus qui se présentent comme étant qualifiés pour parler au nom de l’État puissent faire respecter de manière durable les normes qu’ils édictent par la majeure partie, sinon la totalité de leur population sur leur territoire8 ». Dans les faits, il est rare qu’un État cesse d’être reconnu par la communauté internationale s’il s’avère incapable de mettre fin à une guerre civile ou à une rébellion sévissant à l’intérieur de ses frontières. Une telle décision, en effet, peut être interprétée comme une violation du principe de non-ingérence et elle peut dans certains cas aller à l’encontre du droit à l’autodétermination des nations opprimées. Ainsi, l’opération Restore Hope menée par les États-Unis et les Casques bleus de l’ONU en Somalie, en 1992, a été justifiée par des raisons humanitaires – nourrir la population acculée à la famine – et non par l’absence de toute autorité gouvernementale capable de mettre fin à une guerre prolongée entre clans tribaux rivaux. Les massacres répétés de populations par les organisations islamistes fondamentalistes terroristes en Algérie au cours des années 1990 ont incité la France à s’interroger sur l’effectivité du gouvernement algérien et la pertinence d’une intervention internationale, mais ces questionnements n’ont pas eu de suite.

16Les représentants de l’État. Les autorités qui représentent l’État sur la scène internationale varient selon la nature du système politique et la répartition des pouvoirs en matière de politique étrangère. Dans les régimes semi-présidentiels, comme ceux de la France et de la Russie, les principaux représentants de l’État sont le président de la République, le premier ministre et le ministre des Affaires étrangères. Dans les régimes présidentiels comme celui des États-Unis, ces fonctions sont assumées par le président et le secrétaire d’État. Dans les monarchies constitutionnelles, comme la Grande-Bretagne, l’Espagne, le Canada, et les républiques parlementaires, comme l’Allemagne et l’Italie, c’est le chef du gouvernement et son ministre des Affaires étrangères qui sont les principaux représentants de l’État, car le chef officiel de l’État (monarque ou président) n’a que des pouvoirs honorifiques ou symboliques. Ces autorités sont assistées dans leurs fonctions par plusieurs autres personnes, notamment les divers ministres du gouvernement et le corps diplomatique.

Une personnalité juridique internationale

17La personnalité juridique internationale de l’État signifie qu’il a, en tant que personne morale ou collectivité humaine possédant une assise territoriale et des individus qualifiés pour agir en son nom, des droits et des obligations ayant une portée et une dimension internationales9.

18La première conséquence de la personnalité juridique internationale de l’État est qu’il a une continuité dans le temps. L’État continue d’exister même s’il subit des modifications territoriales (cession, sécession, conquête, annexion) et des changements violents ou anticonstitutionnels de régime politique. C’est la raison pour laquelle les nouveaux gouvernements déclarent fréquemment qu’ils respecteront les obligations internationales de leurs prédécesseurs. C’est également la raison pour laquelle le droit international dissocie la reconnaissance des États, par l’établissement de relations diplomatiques de jure ou de facto, des changements de gouvernement.

19La deuxième conséquence de la personnalité juridique internationale des États est que les actes dont les gouvernants sont les auteurs ne leur sont pas imputables personnellement, mais le sont à l’État lui-même, ce dernier étant considéré comme une entité distincte de ceux qui agissent en son nom. La troisième conséquence est qu’en vertu de leur personnalité juridique internationale, les États sont responsables des actes que commettent leurs ressortissants (individus ou personnes morales) dans un pays étranger. Dans les faits, ce principe est très difficile à appliquer parce qu’il n’existe aucun traité ou accord international écrit sur le sujet. Ce sont les diverses règles coutumières du droit international public et privé qui déterminent les modalités de réparation des dommages causés à un État par les gouvernants ou les ressortissants d’un autre État. Cette situation explique que les poursuites criminelles et civiles, relatives au naufrage du pétrolier américain Exxon Valdez au large des côtes de l’Alaska, à la plongée d’un avion d’Air India dans les eaux du R.-U. et à l’explosition d’une usine de la firme américaine Union Carbide en Indes dans les années 1980, ne sont toujours pas réglées, ou ont exigé des décennies de procédures devant les tribunaux. L’histoire suivante, rapportée par La Presse du 28 mai 2009, illuste la longueur et la complexité de ces litiges. Après la guerre du Golfe de 1991, la Kuwait Airways Corporation (KAC) a intenté deux poursuites contre la Iraqi Airways Company (IAC) et contre le gouvernement de la république d’Irak devant les tribunaux britanniques pour la saisie de certains de ses avions durant le conflit. En 2008, les tribunaux anglais condamnent IAC et le gouvernement irakien à verser respectivement à la KAC des montants équivalents à 1 milliard et 84 milliards de dollars canadiens. Ces jugements tardant à être appliqués, la KAC se présente devant les tribunaux québécois en 2008 pour obtenir un droit de saisie sans ordonnance (i.e. sans que l’IAC et l’Irak n’en soient avisés) de deux immeubles de Montréal appartenant à l’État irakien et de quelques avions commandés par l’IAC à Bombardier qui sont alors en construction. Une firme d’avocats québécoise, rétribuée par l’Irak, parvient toutefois à faire annuler la saisie au motif que l’Irak bénéficie d’une immunité étatique au Canada et non au Royaume-Uni. La cause est portée en appel par la KAC, mais entretemps Bombardier livre à l’IAC les avions commandés. En avril 2009, la Cour d’appel du Québec donne raison aux défenseurs de l’Irak. La KAC soumet alors sa cause à la Cour suprême du Canada. Près de 20 ans plus tard la cause est toujours en suspens.

La souveraineté

20Du XVIIe au XXe siècle, la souveraineté des États a constitué le principal fondement du droit international, malgré les critiques formulées à son endroit par l’école libérale. Celle-ci, on le sait, s’est toujours opposée au nationalisme et au protectionnisme des États, prônant la libéralisation des échanges, l’extension de la démocratie et la suprématie des droits individuels sur ceux des États. La mondialisation et l’universalisation du modèle démocratique, au XXe siècle, ont contribué à une érosion de la souveraineté des États et favorisé l’adhésion d’un nombre de plus en plus grand de penseurs et d’acteurs à la conception libérale du droit international. La crise des modèles nationalistes de développement, la troisième vague de transitions démocratiques et la fin de la guerre froide ont entraîné une remise en question de plus en plus importante du bien-fondé de la souveraineté inaliénable des États et des principes s’y rattachant, tel celui de la non-ingérence dans les affaires intérieures d’un État. En témoignent le recours de plus en plus fréquent à la conditionnalité économique et politique par les OI ou les agences d’aide nationales et la multiplication des interventions unilatérales non sollicitées de l’ONU ou de l’OTAN dans divers pays, au nom des droits humanitaires (ex. Somalie 1992, Bosnie-Herzégovine, 1995, Kosovo, 1999).

21Néanmoins, la souveraineté demeure jusqu’à ce jour la caractéristique juridique la plus importante de l’État aux yeux du droit international. D’un point de vue négatif, elle peut être définie comme l’absence de subordination à l’égard d’un autre État ou d’une entité internationale. De là découle le principe de l’égalité juridique des États (un État = une voix) qui est appliqué au sein de plusieurs OI. La souveraineté ainsi conçue implique qu’un État peut refuser d’appliquer telle règle ou norme adoptée par les autres États. Cependant, en agissant de la sorte, ce dernier s’expose à des pénalités diverses (discrédit, perte d’avantages, représailles) de la part des autres États tout en risquant d’être contesté par son opinion publique. Par ailleurs, l’égalité juridique des États ne signifie nullement la disparition des inégalités de fait entre petites, moyennes et grandes puissances. D’un point de vue positif, la souveraineté implique l’exclusivité, l’autonomie et la plénitude de la compétence. L’exclusivité de la compétence signifie que, sauf accord international, seules les autorités qualifiées de l’État, à l’exclusion de toutes les autres, peuvent exercer des actes de contrainte dans le cadre de l’espace national. Ainsi, les corps policiers d’un État ne peuvent poursuivre un ressortissant sur le territoire d’un autre État. Toutefois, l’État de ce ressortissant peut obtenir son extradition s’il existe un accord en ce sens avec l’État concerné. Cependant, si d’autres lois de cet État, telle une loi relative aux réfugiés politiques, ont préséance sur cet accord d’extradition, celle-ci peut s’avérer impossible. L’autonomie de la compétence signifie que les autorités qualifiées de l’État ont la liberté pleine et entière de décision. Cela implique qu’elles ne peuvent être soumises aux injonctions, directives et ordres formulés par une autorité extérieure. C’est de ce principe que découle la règle de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre État, à moins que cette intervention n’ait été formellement sollicitée par l’État concerné. La situation se complique lorsqu’il existe deux gouvernements dans un État – un gouvernement en poste mais chancelant et un gouvernement dans l’opposition sur le point de prendre le pouvoir – et qu’une demande d’intervention est sollicitée par l’un ou l’autre. Le problème est alors de savoir s’il faut obtempérer à la demande d’intervention d’une faction ou au refus d’intervention de l’autre faction. La plénitude de la compétence signifie qu’aucun domaine n’échappe au pouvoir de juridiction de l’État, un principe qui légitime l’existence d’États théocratiques (Iran, Afghanistan des Talibans, Arabie saoudite) ou communistes (Corée du Nord, Cuba). Cependant, tout État a la possibilité de laisser ou de transférer les secteurs d’activité qu’il désire aux acteurs de la société civile ou à une autorité extérieure (ex. : privatisation d’entreprises publiques, transfert de nombreuses compétences des États membres de l’UE aux institutions de l’Union).

La reconnaissance internationale

22Lorsque les cinq éléments constitutifs mentionnés sont réunis, l’État existe comme réalité. Cependant, pour qu’il puisse véritablement participer à la vie internationale, il doit être reconnu par les autres États. Cela étant dit, un État non reconnu peut néanmoins entretenir des relations de facto avec d’autres États (ce fut le cas de la Rhodésie du Sud après sa déclaration unilatérale d’indépendance en 1965). Cela démontre que l’existence de l’État est un phénomène distinct de sa reconnaissance. Il n’en demeure pas moins qu’un État privé de reconnaissance est condamné à l’isolement, à l’autarcie économique et à l’appauvrissement. C’est la raison pour laquelle les nouveaux États sont généralement prêts à se soumettre à plusieurs exigences de la communauté internationale – et des grandes puissances en particulier – pour être reconnus (ex. Slovaquie, Croatie, Slovénie, Bosnie-Herzégovine, Montenegro, Kosovo). Étant donné que la reconnaissance d’un État est un acte discrétionnaire de chaque État, il arrive qu’elle soit prématurée et qu’elle intervienne avant que l’État concerné ne possède les cinq caractéristiques constitutives mentionnées. Il existe néanmoins une limite juridique à ce pouvoir discrétionnaire – l’interdiction de reconnaître un État en violation des règles du droit international. La Russie et la Serbie ont contesté la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo (2008) devant la Cour internationale de Justice. L’avis de la Cours, rendu en juillet 2010, soutient que cette déclaration « est conforme au droit international en général », mais ne se prononce pas sur la qualité d’État souverain du Kosovo. Jusqu’à maintenant, la déclaration unilatérale d’indépendance du Kosovo a été reconnue par 69 pays, dont le Canada, les États-Unis et 22 États membres de l’UE. Parmi les nombreux États qui ont refusé d’entériner cette déclaration se trouvent la Russie, la Chine, l’Inde, l’Espagne, la Grèce, Chypre, la Roumanie et la Slovaquie. Les seules OI qui ont accepté le Kosovo comme membre, jusqu’à maintenant, sont le FMI et la Banque mondiale. Il est peu probable que le Kosovo soit admis à l’ONU, comme il le souhaite, car toute nouvelle admission requiert un vote des deux tiers des 192 membres de l’Assemblée générale. Les déclarations unilatérales d’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie – régions que revendique la Géorgie – n’ont été reconnues par aucun État, sauf la Bosnie10.

Les organisations internationales

Éléments constitutifs11

23Les organisations internationales (OI) sont des organisations dont les membres sont exclusivement les gouvernements centraux des États. Leurs caractéristiques sont similaires à certains égards et différentes à d’autres égards de celles des États dont elles sont une émanation.

Processus de création et structures

24Alors qu’un État est créé soit par la force, soit par la négociation d’une entente (constitution) entre diverses forces politiques, toute OI naît d’un accord (charte, traité) entre deux ou plusieurs États, auquel chaque État adhère individuellement12. La constitution d’un État définit la nature des institutions politiques, leurs pouvoirs respectifs et leurs règles de fonctionnement. Elle comporte des règles d’amendement et des règles d’interprétation de ses dispositions. La charte d’une OI est similaire à la constitution d’un État. Elle définit la nature, les pouvoirs et les règles de fonctionnement des organes de l’organisation ; elle contient des règles d’amendement et d’interprétation de ses dispositions. Lors de sa création, toute OI négocie avec un de ses États membres l’octroi d’une portion de territoire pour l’établissement de son siège social.

25Au sein des États, la répartition du pouvoir emprunte différentes formes. Dans les États unitaires (ex. : France, Portugal, Grèce, Indonésie, Japon), le pouvoir est concentré entre les mains du gouvernement central ; dans les États fédéraux (ex. : Canada, Russie, Allemagne, États-Unis, Australie, Brésil), le gouvernement central conserve la majorité des pouvoirs mais une partie plus ou moins importante d’entre eux sont confiés aux gouvernements régionaux. L’ampleur de cette délégation de pouvoirs détermine le degré de centralisation d’une fédération. Dans les confédérations, les gouvernements régionaux détiennent plus de pouvoirs que le gouvernement central. Aucun État ne possède à notre époque une véritable structure confédérale. Par contre, toutes les OI sont des confédérations.

La confédération est une formule d’union entre États, formalisée par des procédés juridiques variés. Elle s’oppose à la fédération par une différence essentielle : la fédération est une unité politique et juridique constituée d’un seul État, internationalement souverain, regroupant des unités plus petites dont l’autonomie peut être forte mais qui, internationalement, ne sont pas des États ; la confédération est au contraire une pluralité d’États qui seuls ont l’existence internationale13.

26Les OI sont des confédérations d’États plus ou moins centralisées. On dit d’une OI qu’elle est centralisée lorsque ses décisions ont un caractère obligatoire pour les États membres. C’est le cas des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU et des directives du Conseil de l’UE. À l’inverse, une OI est décentralisée lorsque ses décisions n’ont pas de caractère obligatoire pour les États membres. La majorité des OI sont décentralisées.

Règles d’adhésion

27C’est l’obtention de la nationalité qui permet à un individu ou à une personne morale d’adhérer à un État. C’est la signature de la Charte d’une OI qui permet à un État d’adhérer à cette dernière. Ni l’adhésion à un État ni l’adhésion à une OI ne sont inconditionnelles ou automatiques. Seuls les étrangers qui répondent aux critères fixés par la loi de naturalisation d’un pays peuvent obtenir la nationalité de ce dernier. L’admission au sein d’une OI est conditionnelle au respect des dispositions de sa Charte par un pays candidat. En outre, l’admission d’un nouvel État membre doit être acceptée par l’organe restreint ou plénier d’une OI. Cela signifie que cette admission fait souvent l’objet de négociations entre les États membres. Ces derniers peuvent décider d’imposer au pays candidat des conditions d’adhésion qui ne sont pas inscrites dans la Charte de l’organisation. Ainsi, durant les années 1970, la Communauté européenne (CE) a conditionné l’adhésion de la Grèce, de l’Espagne et du Portugal à l’instauration préalable de la démocratie dans ces trois pays, bien que cette condition n’était pas inscrite dans le traité de Rome de 1957 à l’origine de la CE.

Nature et prérogatives des organes constitutifs

28Tous les États disposent d’un organe restreint (exécutif), d’un organe plénier (Parlement), d’un appareil administratif, d’un ensemble hiérarchisé de tribunaux, d’une police et d’une armée. En règle générale, chaque OI comprend un organe restreint (où siègent quelques États membres), un ou plusieurs organes pléniers (où tous les États membres sont représentés), un appareil administratif ou secrétariat. Cependant, seules quelques OI disposent d’un ou plusieurs tribunaux et aucune ne possède une police ou une armée propre. Les OI à vocation stratégique disposent d’une force d’intervention militaire, mais celle-ci est constituée par les contingents des armées des États membres. Il n’existe pas d’armée supranationale.

29Les pouvoirs attribués à chacun de ces organes varient en fonction de la nature autoritaire ou démocratique, présidentielle ou parlementaire des régimes politiques des États et de la nature des OI. Il n’y a pas de règle absolue ou de modèle universel à cet égard.

30Dans les États démocratiques, le pouvoir de décision, soit l’adoption des lois, est dévolu au Parlement (régimes parlementaires) ou partagé entre le Parlement et le président (régimes présidentiels). Le pouvoir d’exécution, soit l’application des lois, est confié au gouvernement. Dans les États autoritaires, le véritable pouvoir décisionnel en matière législative est monopolisé par l’organe exécutif ; le Parlement ne fait qu’entériner les lois édictées par le chef de l’État et son gouvernement. Dans certaines OI, telle l’ONU, le pouvoir de décision est concentré entre les mains de l’organe restreint, l’assemblée générale n’ayant qu’un pouvoir de recommandation. Dans d’autres OI, telles l’OTAN, l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et l’OEA, l’organe restreint ne fait qu’appliquer les décisions adoptées par l’assemblée générale des États membres. Dans d’autres OI, tel le FMI, le pouvoir de décision est partagé entre l’organe restreint et l’organe plénier. Dans les États et les OI, le rôle de l’appareil administratif est d’appliquer les décisions adoptées par l’organe plénier ou restreint.

31Il en va autrement pour les tribunaux et la police. Tous les États possèdent une structure hiérarchisée de tribunaux qui ont le pouvoir de juger et de punir les citoyens qui contreviennent aux lois nationales. L’exécution des sentences est garantie par l’existence de corps policiers qui ont le mandat de contraindre les citoyens à obéir aux ordres et verdicts des cours. En revanche, le pouvoir de sanction des instances juridictionnelles internationales est beaucoup plus limité, puisqu’en raison de la souveraineté inaliénable des États et de l’absence d’une police supranationale, l’application des jugements qu’ils prononcent contre des États fautifs dépend de la collaboration volontaire de ces derniers. Il est vrai que les OI ont des pouvoirs de contrainte (sanctions économiques, suspension de certains droits et privilèges, expulsion, etc.) mais ceux-ci sont difficiles à exercer puisqu’ils exigent l’accord des États membres. En réalité, la soumission ou la non-soumission d’un État au jugement d’une cour internationale dépend des bénéfices (support de son opinion publique, défense de ses intérêts, etc.) et des pertes (détérioration de ses relations avec certains partenaires, sanctions des autres États, etc.) liés à chaque attitude.

32Les tribunaux pénaux internationaux – Tribunal pénal international du Rwanda (TPIR), Tribunal pénal international de l’ex-Yougoslavie (TPIY), tribunaux pénaux pour la Sierra Leone, le Timor oriental, le Cambodge, le Liban et la Cour pénale internationale (CPI)14 – possèdent des pouvoirs plus étendus puisqu’ils peuvent accuser, juger et condamner à l’emprisonnement tout individu (dirigeant, militaire, policier, fonctionnaire, etc.) responsable de génocide, de crime de guerre, de crime d’agression et de crime contre l’humanité. Cependant, la tenue des procès et l’application des sentences ne sont possibles que si l’État d’origine de la personne accusée accepte de l’arrêter et de la traduire devant ces tribunaux. Or cette collaboration n’est pas assurée. Premièrement, si tous les États sont tenus de se soumettre aux décisions des tribunaux pénaux internationaux créés par le Conseil de sécurité, tel n’est pas le cas pour la CPI qui émane d’un traité international (le Statut de Rome). Seuls les pays ayant ratifié ce statut sont soumis à l’autorité de la CPI15. Deuxièmement, les États peuvent contester un ordre d’extradition ou de comparution du TPIY, du TPIR ou de la CPI en arguant qu’il contrevient à leur droit interne et constitue une ingérence dans leurs affaires intérieures. Dans un tel cas, seules les menaces de représailles des autres États peuvent éventuellement convaincre un pays récalcitrant de se soumettre aux ordres d’une juridiction pénale internationale16. Le tribunal international qui détient le pouvoir de sanction le plus effectif est la Cour de justice européenne de l’UE (CJUE). Instance juridique suprême de l’UE, celle-ci interprète et applique le droit communautaire ; elle se prononce sur tous les recours en cette matière qui lui sont soumis par les institutions et les États membres de l’UE. Ces derniers respectent beaucoup plus systématiquement les arrêts de la CJUE, non seulement parce qu’ils ont un caractère obligatoire et que la Cour peut imposer des amendes à ceux qui n’appliquent pas ses arrêts, mais parce qu’ils ont tous intérêt à ce que le droit communautaire soit respecté, étant fortement interdépendants les uns des autres. Ceci tend à démontrer que plus l’interdépendance des États est approfondie, plus ces derniers sont prêts à se soumettre à l’autorité d’une instance judiciaire supranationale. On peut donc prévoir que si l’intégration continentale et internationale continue à progresser, la capacité des tribunaux internationaux d’imposer le respect du droit international augmentera.

33Des raisons identiques expliquent l’inégalité de la puissance militaire des États et des OI. La quasi-totalité des États possèdent une armée dont la mission principale est de défendre l’intégrité et la sécurité du territoire national. Par contre, aucune OI ne possède sa propre armée. Les forces militaires dont disposent certaines d’entre elles – ONU, OTAN, OEA, Union africaine (UA) – sont essentiellement constituées par les contingents de soldats fournis par les États membres. En outre, seule l’OTAN possède une structure de commandement militaire intégrée constituée des représentants des états-majors des États membres. La mission des armées multilatérales est de prévenir et de résoudre les conflits entre les États qui sont situés dans leur zone d’opération (planétaire dans le cas de l’ONU, régionale dans les autres cas). Du point de vue militaire, les OI n’ont donc aucune autonomie, étant entièrement dépendantes des décisions et contributions des États membres. Cette situation est due au fait que les États, en particulier les plus puissants, refusent de déléguer leur souveraineté en matière militaire à une autorité supranationale.

Pouvoirs, ressources et représentation

34Les OI possèdent des pouvoirs moins étendus que ceux des États. Leur personnalité juridique internationale leur confère le droit de conclure des traités et des conventions internationales, d’assurer une protection diplomatique à leurs agents, de saisir une juridiction internationale, de jouir de privilèges et d’immunités, et d’établir des missions dans différents pays. À l’égard de leurs États membres, elles ont des pouvoirs d’évocation et de discussion, de délibération, de gestion, de contrôle juridictionnel et administratif et de contrainte indirecte.

35Les OI ont une autonomie de financement plus restreinte que les États car si ces derniers peuvent contraindre, sous peine d’amendes ou d’emprisonnement, tous les citoyens à contribuer au budget de l’État sous la forme de taxes et d’impôts, il est beaucoup plus difficile pour une OI d’obliger un État membre à verser sa cotisation à l’organisation. Ainsi, malgré les demandes insistantes du secrétaire général de l’ONU et les critiques des États membres, le Congrès américain a suspendu le paiement de sa cotisation équivalant à 25 % du budget de l’ONU pendant plusieurs années, plaçant cette dernière dans une situation de crise financière. En outre, les États bénéficient d’un grand nombre de ressources propres (droits de douane, revenus des entreprises publiques, tarification de leurs services, etc.) que ne possèdent pas les OI. À l’exception de l’UE qui, depuis 1970, a progressivement remplacé les contributions nationales des États membres par des ressources propres qui ont garanti son indépendance financière (prélèvements agricoles, droits de douane du tarif extérieur commun, pourcentage des recettes de la taxe sur la valeur ajoutée perçue par les États membres), les revenus que procurent aux OI leurs activités propres représentent une fraction marginale de leur budget. Par ailleurs, alors que les États peuvent emprunter sur le marché financier national ou international sans autorisation des contribuables, les OI doivent obtenir l’aval des États membres pour effectuer de telles opérations. Enfin, s’il est vrai que les OI peuvent recevoir des dons, à l’instar des États, ces derniers constituent un élément négligeable de leurs revenus.

36Un autre élément distingue les OI des États. Alors que le personnel des organes restreint et large des États démocratiques est élu indirectement ou directement par les citoyens, celui des organes restreint et large des OI est nommé par les gouvernements centraux des États membres.

Évolution historique

37Les premières confédérations d’États ont été les Cités grecques de la Béotie, de Corinthe et du Péloponnèse au Ve siècle avant Jésus-Christ. Par la suite et jusqu’au XXe siècle, les confédérations d’États sont demeurées des phénomènes exceptionnels. On peut citer le cas des Ligues des villes marchandes de l’Italie et de l’Allemagne du Nord durant le Moyen Âge, de la Confédération suisse, établie en 1389, et de la confédération des États-Unis d’Amérique, créée en 1781 à l’issue de la guerre d’indépendance, dont l’existence sera de courte durée puisqu’elle sera convertie en une fédération par la Constitution de 1787. Au XIXe siècle, la formation de compagnies multinationales et l’expansion des échanges commerciaux impulsées par la révolution industrielle incitèrent les États à établir des OI à caractère technique et administratif dans le but d’améliorer les transports, les communications et le commerce. Afin de permettre une gestion commune des fleuves européens par les États riverains, le Congrès de Vienne de 1815 instaura la Commission centrale pour la navigation du Rhin ; en 1856, le Congrès de Paris institua la Commission européenne du Danube. Suivirent l’établissement de l’Union internationale des télécommunications (UIT) en 1865 et de l’Union postale universelle (UPU) en 1874. D’autres OI, telles que l’Organisation de l’industrie sucrière et l’Institut agricole international, furent également mises sur pied.

38La première OI à vocation politique ayant pour mission de maintenir la paix et la stabilité de la société internationale sera la SDN, créée en 1920 à l’issue de la Première Guerre mondiale (1914-1918). La SDN établit un système de sécurité collective, selon lequel l’atteinte à la sécurité de l’un des membres serait « ipso facto […] un acte de guerre contre tous les autres membres de la Société ». Parallèlement, est constituée l’Organisation internationale du travail (OIT), doublement novatrice, puisqu’elle vise à promouvoir une harmonisation des normes du travail afin d’empêcher une concurrence sauvage entre les travailleurs syndiqués ou bénéficiant d’avantages sociaux et ceux qui n’ont aucune protection, tout en instituant le principe des délégations tripartites pour les États (un représentant des syndicats, un représentant du patronat et deux représentants du gouvernement central par pays).

Le système des organisations internationales après 194517

39Il faut toutefois attendre la deuxième moitié du XXe siècle pour voir se constituer un véritable système d’OI, résultante de la crise économique des années 1930, du deuxième conflit mondial, de la guerre froide et de la décolonisation des pays d’Afrique et d’Asie.

TABLEAU 2.1. Le système des organisations internationales après 19451

TABLEAU 2.1. Le système des organisations internationales après 19451

Agrandir Original (jpeg, 208k)

40Durant la période 1920-1945, les États-Unis affirment leur suprématie économique, politique et militaire sur l’Empire britannique et les autres puissances coloniales européennes. Le président américain de l’époque, Franklin Delano Roosevelt, et son équipe de fonctionnaires et conseillers sont des démocrates libéraux. Ils croient fermement qu’une autre dépression économique majeure et un troisième conflit mondial ne pourront être évités que par la mise sur pied d’OI centrées sur les objectifs suivants : (1) favoriser l’essor du commerce entre les pays capitalistes industrialisés par la stabilisation des monnaies et le maintien de l’équilibre des balances des paiements, la réduction des barrières tarifaires et non tarifaires aux échanges et le renforcement de l’intégration économique européenne ; (2) atténuer les disparités économiques entre pays riches et pays pauvres grâce au financement par les premiers de programmes d’assistance aux seconds ; (3) garantir la paix mondiale par la création d’un régime de sécurité collective universel capable d’imposer la paix par la force aux États en conflit. Ceci explique que les États-Unis aient assumé un rôle de leader lors des conférences qui donnèrent naissance aux organisations vouées à ces missions – FMI, General Agreement on Tariffs and Trade (GATT), Banque mondiale, ONU – entre 1941 et 1957. Pendant la guerre, tous leurs alliés, y compris l’URSS, se montrèrent favorables à ce programme, mais ce consensus ne résistera pas à la division du monde entre le camp communiste et le camp capitaliste au lendemain du conflit.

41Les Américains et leurs alliés occidentaux n’acceptèrent pas que l’URSS favorise l’installation de régimes communistes dans les pays de l’Europe centrale et orientale situés dans la zone d’influence qui lui avait été concédée par les accords de Yalta (février 1945) et qu’elle appuie la lutte des partis communistes pour la conquête du pouvoir en Chine (1945-1949) et en Corée (1945-1948). Dès 1947, le président Harry Truman, qui avait succédé à Franklin Delano Roosevelt en 1945, adoptera une nouvelle politique étrangère fondée sur le principe de l’endiguement (containment) de l’expansion communiste. Cette décision sanctionnera la fin de l’alliance américano-soviétique et le début de la guerre froide. Celle-ci aura d’importantes répercussions sur le système des OI. Elle incitera l’URSS à boycotter le FMI et à opposer son VETO aux résolutions du Conseil de sécurité proposées par les États-Unis et leurs alliés, empêchant ainsi l’ONU de remplir son mandat de maintien de la paix. En outre, la guerre froide introduira une dynamique conflictuelle au sein de l’assemblée générale et de plusieurs OI du système des Nations Unies, les États-Unis et l’URSS utilisant ces tribunes pour tenter de renforcer leurs appuis et leur influence au sein de la communauté internationale. La guerre froide incitera également les États-Unis et leurs alliés à créer une série d’OI régionales en vue de protéger leurs intérêts militaires, économiques et politiques contre la menace communiste, stratégie à laquelle l’URSS ripostera en créant son propre bloc d’OI régionales.

42La décolonisation des pays d’Afrique et d’Asie, au cours de la période 1945-1965, processus favorisé par le déclin économique et militaire des puissances coloniales européennes (Grande-Bretagne, France, Belgique, Allemagne, Italie) et asiatique (Japon), contribuera également à modifier la configuration des OI en suscitant le regroupement des PED au sein de diverses OI relativement autonomes des blocs occidental et communiste. L’émergence d’un troisième bloc tiers-mondiste sera d’ailleurs encouragée ouvertement par la RPC ou indirectement par diverses moyennes puissances du camp occidental désireuses de limiter le poids de l’influence américaine et soviétique au sein du système international. Le Mouvement des pays non alignés constitua l’expression la plus éloquente de cette tentative d’autonomisation du tiers-monde. Il fut constitué en 1955 à l’initiative de la RPC, de l’Inde, de l’Indonésie et d’autres États asiatiques en vue de faire contrepoids à l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE), créée en 1954 par les États-Unis, la Grande-Bretagne et leurs alliés – Australie, Nouvelle-Zélande, Philippines, Thaïlande et Pakistan – en vue de lutter contre la subversion communiste dans la région.

Le Mouvement des pays non alignés jeta les bases du neutralisme, doctrine structurée autour de dix principes de la coexistence pacifique : respect des droits de l’homme, respect de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de toutes les nations, non-intervention et non-ingérence dans les affaires intérieures des États, refus de recourir à des arrangements de défense collective destinés à servir les intérêts particuliers des grandes puissances, règlement de tous les conflits internationaux par des moyens pacifiques, etc.18.

43En outre, la décolonisation permit une forte augmentation du nombre et de l’influence des PED au sein de l’assemblée générale de l’ONU et des institutions du système des Nations Unies. Ce changement de rapport de force, dans un contexte marqué par la paralysie du Conseil de sécurité, responsable du maintien de la paix, permit aux PED d’imposer à l’ONU un agenda centré sur l’aide au développement plutôt que sur la résolution des conflits interétatiques.

44La guerre froide connut son apogée durant les treize premières années de l’après-guerre (1947-1960) ; la mort de Staline en 1953, le xxe Congrès du PCUS de 1956 et ses retombées favorisèrent l’avènement d’une période de dégel ou de détente à partir de la seconde moitié des années 1960 qui se concrétisa notamment par la négociation des accords Salt I (1969-1972) et Salt II (1973-1979) et le développement progressif des échanges économiques et technologiques Est-Ouest. C’est l’addition de ces expériences de dialogue et de coopération qui explique la création d’une première OI Est-Ouest, en 1975 à Helsinki : la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (CSCE).

45Dans l’ensemble, comme le montre le tableau 2.1, le système des OI de l’après-guerre fut donc caractérisé par l’existence de quatre blocs : les OI majoritairement universelles du système des Nations Unies ; les OI régionales ou interrégionales du bloc occidental dominées par les États-Unis ; les OI régionales ou interrégionales du bloc communiste dominées par l’URSS ; les OI interrégionales ou régionales des PED.

Le système des organisations internationales au tournant du XXIe siècle

46Durant le dernier quart du XXe siècle, trois séries de changements ont modifié en profondeur les relations internationales et le système des OI : la crise des modèles de développement économique nationalistes, tant à l’Est qu’à l’Ouest, qui conduira la très grande majorité des États à adopter un modèle de développement néolibéral ; la crise des régimes politiques autoritaires – capitalistes et communistes – et leur remplacement par des régimes démocratiques ; la fin de la guerre froide. La principale conséquence de ces bouleversements fut l’instauration d’un nouvel ordre unipolaire, caractérisé par l’hégémonie des États-Unis et l’expansion du modèle américano-occidental fondé sur le capitalisme et la démocratie19.

47À la suite de la Deuxième Guerre mondiale, la quasi-totalité des États – capitalistes et communistes – ont opté pour des modèles de développement introvertis ou nationalistes dans le cadre desquels la croissance économique reposait sur l’expansion du marché interne, soutenue par l’intervention de l’État et des politiques commerciales protectionnistes. Cependant, les États capitalistes ont également soutenu la libéralisation progressive des échanges de marchandises et des flux de capitaux en vue de financer leur développement autocentré. Cette conciliation des logiques protectionniste et libérale était d’ailleurs conforme à l’approche social-démocrate du nouvel ordre économique mondial, défini par les Accords de Bretton Woods de 1944, le GATT (1947) et le traité de Rome instituant la ce (1957), qui faisait consensus au sein d’un grand nombre de pays. L’expérience a démontré que ces deux logiques ne pouvaient être indéfiniment compatibles, ce dont était fort conscient John Maynard Keynes, un des principaux artisans du consensus de Bretton Woods, qui considérait qu’à long terme le libéralisme l’emporterait nécessairement sur le protectionnisme. La contradiction entre ces deux dynamiques du développement fut largement responsable de la crise économique qui, à partir de 1975, se traduisit par un déclin de la croissance, une hausse de l’inflation, une augmentation de l’endettement et des déficits budgétaires des gouvernements, et un déséquilibre des balances des paiements. Cette crise força les États à adopter des modèles néolibéraux de développement dans le cadre desquels la croissance dépend de l’augmentation des exportations et de la productivité, objectifs impliquant une diminution de l’intervention de l’État au sein du marché et la libéralisation des échanges.

TABLEAU au 2.22. Le système des organisations internationales au tournant tournant du XXIe

TABLEAU au 2.22. Le système des organisations internationales au tournant tournant du XXIe

Agrandir Original (jpeg, 434k)

48Si la crise économique n’a pas eu d’impacts politiques significatifs sur les démocraties, celles-ci offrant aux partis politiques et aux groupes d’intérêt la possibilité de négocier une répartition plus équitable de ses coûts, elle a aggravé la crise de légitimité de plusieurs dictatures, contribuant à la vague de transitions de l’autoritarisme à la démocratie qui a déferlé successivement sur l’Europe du Sud, l’Amérique latine, l’Asie de l’Est, l’Europe centrale et orientale, et l’Afrique entre 1973 et 199520. Elle a également été l’un des principaux déterminants de l’enchaînement des évènements qui ont conduit à la disparition du bloc communiste et à la fin de la guerre froide. L’aggravation de la crise économique de l’URSS, au début des années 1980, en raison notamment de son engagement militaire en Afghanistan, a en effet hypothéqué sa capacité à concurrencer le développement de la puissance militaire américaine. Elle explique qu’en 1985, le nouveau secrétaire général du PCUS, Mikhaïl Gorbatchev, ait accepté la proposition du gouvernement Reagan d’abandonner son projet de bouclier spatial et de négocier une réduction des armements stratégiques américains et soviétiques en Europe, en contrepartie de la mise en œuvre par les autorités soviétiques de réformes axées sur la privatisation de l’économie et la démocratisation du système politique. Ces réformes – la perestroïka et la glasnost – ont créé des conditions favorables à la disparition de la tutelle du PCUS sur le système politique soviétique et à l’abandon par Moscou de sa politique d’intervention au sein des États membres du pacte de Varsovie et des républiques de l’URSS. La crise économique et la disparition de toute menace d’intervention soviétique ont renforcé les mouvements de dissidence contre les régimes communistes dans les pays de l’Europe de l’Est, et contre la tutelle de Moscou dans les républiques de l’URSS, mouvements qui ont abouti à l’effondrement du communisme au sein du bloc de l’Est et à l’éclatement de l’URSS entre 1989 et 199121.

49Ces bouleversements ont entraîné la disparition des OI du bloc communiste, le Pacte de Varsovie et le Conseil d’assistance économique mutuelle (CAEM) étant dissous dès 1991. Ils ont également eu un impact important sur l’ONU. Comme le souligne Marie-Claude Smouts, un désir de coopération sans précédent entre les Grands va replacer le Conseil de sécurité au cœur du dispositif onusien dès 1988. Ce nouveau climat d’entente va permettre à l’ONU de remporter plusieurs succès entre 1988 et 1992 : règlement de la guerre entre l’Iran et l’Irak, retrait des troupes soviétiques d’Afghanistan, désarmement des contras soutenus par les Américains au Nicaragua, envoi de missions de paix au Guatemala et au Salvador, indépendance de la Namibie, expulsion des troupes iraquiennes du Koweït. Il va également inciter l’ONU à augmenter le nombre et l’importance de ses opérations, tout en changeant leur nature. Aux opérations traditionnelles de maintien de la paix s’ajouteront des opérations de rétablissement de la paix, de reconstruction nationale et d’imposition de la paix pour des raisons humanitaires22.

50Plusieurs de ces nouvelles missions seront toutefois des échecs. Ces résultats démontreront que les difficultés de l’ONU à remplir efficacement son rôle de gendarme de la paix ne peuvent être attribuées uniquement aux antagonismes de la guerre froide. Elle tiennent à la nature même de son système de sécurité collective, fondé sur l’idée optimiste de l’après-guerre que cinq grandes puissances aux intérêts divergents peuvent coopérer de manière permanente en vue de sauvegarder la paix mondiale. Elles renforceront le sentiment que, dans le contexte du nouvel ordre international post-guerre froide, ce sont les interventions multilatérales ou les organisations régionales placées sous le leadership de Washington qui sont les plus en mesure d’imposer la paix. Cependant, les interventions des États-Unis et de l’OTAN en Afghanistan (en 2001) et celle de la coalition dirigée par les États-Unis en Irak (en 2003), dont le succès a été très mitigé jusqu’à maintenant, éroderont sérieusement cette confiance dans la capacité de pacification de l’hégémonie américaine. Ce désabusement sera alimenté par l’inaptitude des autres puissances à constituer des régimes de sécurité collective régionaux efficaces. Ainsi, les États de l’Europe de l’Ouest ne parviendront pas à faire de l’Union de l’Europe occidentale (UEO – dissoute en 2000) et de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) de l’UE une alternative crédible à l’OTAN ; la Russie ne réussira pas à transformer la Communauté des États indépendants (CEI) en un système de sécurité collective performant ; l’Organisation de l’unité africaine (OUA), en dépit de sa conversion en Union africaine (UA) en 2001, s’avérera impuissante à résoudre les conflits entre États africains ; les pays asiatiques seront incapables de se doter de systèmes de défense autonomes, à la suite de la dissolution de l’Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (OTASE), en 1977, et de l’alliance entre l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis (ANZUS), en 1987. Le Groupe de Shanghai, créé en 2001 par la Russie et la Chine, dont sont aussi membres le Kazakhstan, le Kirghiztan, le Tadijikistan et l’Ouzbékistan, et auquel participent comme observateurs ad hoc l’Iran, l’Inde, le Pakistan et la Mongolie, n’est pas une alliance de sécurité collective dotée de forces militaires. Il s’agit d’une organisation de coopération économique et de sécurité régionale, qui vise notamment à lutter contre le terrorisme et à réduire l’influence américaine en Asie centrale.

51La période des années 1990 sera également caractérisée par la transformation des OI à vocation économique. D’une part, plusieurs des ex-pays communistes et NPI du tiers-monde adhéreront aux organisations économiques du bloc occidental, en particulier l’OCDE, et à celles du système des Nations Unies : l’OMC et le FMI, entre autres. D’autre part, on assistera à un progrès sans précédent de la libéralisation des échanges dans le cadre de l’Uruguay Round (1986-1993), qui remplacera le GATT par l’OMC, une organisation dotée de pouvoirs accrus en matière de règlement des litiges commerciaux. Sur le plan régional, ce mouvement se traduira par l’approfondissement et l’élargissement du processus d’intégration européenne et la constitution de nouvelles zones de libre-échange, unions douanières, marchés communs et espaces de coopération économique en Europe, en Amérique du Nord et du Sud, en Afrique et en Asie.

52L’intégration des marchés deviendra la priorité de la plupart des OI, tant celles à vocation économique, que celles à vocation politique ou stratégique, la mondialisation étant désormais considérée comme la dynamique la plus susceptible d’assurer l’enrichissement, la coopération et la bonne entente des nations. Plusieurs OI, dont le FMI, la Banque mondiale, l’UE, la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD), le Conseil de l’Europe, l’OTAN, l’OSCE, l’OEA, l’UA et le Mercosur décideront donc de conditionner désormais leurs programmes d’aide (militaire, financière ou autre) à l’adoption par les États receveurs de réformes destinées à libéraliser leur système économique et à démocratiser leur régime politique. Parallèlement, on assistera à une réduction importante de l’aide non conditionnelle aux PED et au déclin des OI spécialisées dans l’assistance aux pays du tiers-monde, telles que l’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (ONUDI), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD) et la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement (CNUCED).

53Ces transformations modifieront la configuration des OI à plusieurs égards : celles-ci seront de moins en moins fondées sur des critères idéologiques et politiques : les OI du bloc occidental accueilleront dans leurs rangs plusieurs PED et ex-pays communistes ; le nombre des OI interrégionales et régionales augmentera substantiellement, notamment dans le domaine économique. La classification des OI fera donc désormais appel à des critères neutres, tels l’origine géographique (mondiale, interrégionale, régionale) des États membres et le domaine de spécialisation de l’organisation plutôt qu’à des critères idéo-politiques (voir tableau 2.2).

L’Organisation des Nations Unies23

Les étapes de la création de l’ONU

54Le projet de créer une véritable organisation internationale universelle plus efficace que la SDN en matière de maintien de la paix a été conçu par les Alliés durant la Deuxième Guerre mondiale ; mais ce sont en réalité trois hommes qui ont décidé de ses principales orientations : Franklin Delano Roosevelt, Winston Churchill et Joseph Staline, dans une moindre mesure. Le gouvernement nationaliste chinois de Chiang Kai-shek a été associé marginalement à ces décisions et les forces de la France libre du général de Gaulle ont été tenues à l’écart, comme le montrent les participants aux conférences de fondation de l’ONU (voir tableau 2.3).

TABLEAU 2.3. Les étapes de la création de l’ONU

ÉVÈNEMENT

DÉCISIONS

14 août 1941
• Charte de l’Atlantique
• Navires Augusta et Prince of Whales dans l’ océan Atlantique
• Winston Churchill, Franklin D. Roosevelt

Aucun agrandissement territorial ne devra être recherché par les États signataires. Aucune modification territoriale sans l’accord des intéressés.
Chaque peuple pourra choisir librement son système de gouvernement.
La paix sera garantie par la sécurité internationale, la réduction des armements, la liberté des mers, le libre accès aux matières premières.
Les États signataires devront coopérer en matière de développement économique et social.

1 er janvier 1942
• Déclaration des Nations Unies
• Washington (D.C.)
• États-Unis et 25 pays alliés contre l’Axe

Ajoute le respect de la liberté religieuse aux principes de la Charte de l’Atlantique.

30 octobre 1943
• Déclaration de Moscou
• Moscou
• Mêmes participants que ci-dessus

Proclame la nécessité d’établir le plus tôt possible une OI fondée sur le principe d’une égale souveraineté de tous les États pacifiques, grands et petits, afin d’assurer la paix et la sécurité internationale.

Juillet 1944
• Conférence monétaire et financière des Nations Unies
• Bretton Woods (New Hampshire, États- Unis)
• États-Unis, Grande-Bretagne et 43 pays alliés contre l’Axe

Définition des paramètres du futur ordre économique international. Création du FMI et de la Banque mondiale.

Août à octobre 1944
• Conférence de Dumbarton Oaks
• Washington (D.C.)
• États-Unis, Grande-Bretagne, URSS,
Chine

Adoption des principales règles organisationnelles de l’ONU.

4 au 11 février 1945
• Conférence de Yalta
• Yalta (Ukraine)
• Joseph Staline, Winston Churchill, Franklin D. Roosevelt

Décision d’accorder un droit de veto à cinq des membres permanents du Conseil de sécurité : États-Unis, Grande-Bretagne, URSS, Chine, France.

25 avril au 26 juin 1945
• Conférence de San Francisco
•San Francisco
• 51 États alliés contre l’Axe

Signature de la charte constitutive de l’ONU.

24 octobre 1945
• Entrée en fonction de l’ONU
• Londres

 

55En août 1941, le premier ministre britannique Winston Churchill et le président américain Franklin Delano Roosevelt, dont le pays n’est pas encore entré en guerre24, se rencontrent dans le plus grand secret sur le Augusta et le Prince of Whales, qui se croisent dans l’Atlantique Nord, afin d’établir les principes d’une future organisation universelle internationale. La Charte de l’Atlantique, adoptée le 14 août 1941, stipule : 1) qu’aucun agrandissement territorial ne devra être recherché par les États signataires ; 2) qu’il ne pourra y avoir de modification territoriale sans l’accord des intéressés ; 3) que chaque peuple pourra choisir librement la forme de son gouvernement ; 4) que la paix future sera garantie par la sécurité internationale, la réduction générale des armements, la liberté des mers, le libre accès aux matières premières ; 5) que les États signataires devront coopérer en matière de développement économique et social. Le 1er janvier 1942, les États-Unis, désormais impliqués dans le conflit mondial, et les 25 autres États en guerre contre les puissances de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon) et leurs supporteurs signent la Déclaration des Nations Unies à Washington. Celle-ci reprend les principes de la Charte de l’Atlantique en y ajoutant celui de la liberté religieuse25. Le 30 octobre 1943, les mêmes États signent la Déclaration de Moscou qui proclame « la nécessité d’établir, aussitôt que possible, une organisation internationale fondée sur le principe d’une égale souveraineté de tous les États pacifiques, grands et petits, afin d’assurer le maintien de la paix et de la sécurité internationale ». En juillet 1944, se tient la Conférence monétaire et financière des Nations Unies à Bretton Woods dans l’État américain du New Hampshire. Fruit d’un compromis entre les propositions américaines et britanniques, elle définit les paramètres du futur ordre économique international et crée le FMI et la Banque mondiale. Entre août et octobre 1944, les États-Unis, la Grande-Bretagne, l’URSS et la Chine, invitée à se joindre aux discussions uniquement en septembre 1944, définissent les règles de fonctionnement de la future ONU lors d’une conférence secrète qui se déroule au domaine de Dumbarton Oaks à Washington. Entre le 4 et le 11 février 1945, la Conférence de Yalta décide notamment qu’un droit de veto sera accordé à chacun des cinq membres permanents du futur Conseil de sécurité de l’ONU : États-Unis, URSS, Chine, France, Grande-Bretagne. La France, qui ne participe pas à cette conférence malgré la reconnaissance du gouvernement provisoire du général de Gaulle en octobre 1944, obtient un statut de membre permanent avec droit de veto grâce au premier ministre britannique, Winston Churchill, qui parvient à contrer l’opposition du président américain Franklin Delano Roosevelt26. l’ONU est officiellement créée lors de la Conférence de San Francisco qui se réunit entre le 25 avril et le 26 juin 1945. Cinquante et un États en guerre contre l’Axe signent sa Charte. l’ONU entre officiellement en fonction le 24 octobre 1945 après avoir été ratifiée par les cinq membres permanents du Conseil de sécurité et la majorité des 51 États signataires initiaux. Elle siégera à Londres jusqu’à ce que la construction de son siège social à New York soit complétée au début des années 1950. La dissolution de la SDN devint effective le 31 juillet 194727.

Les différences entre l’ONU et la SDN

56La SDN, entrée en fonction en 1920, est issue du traité de Versailles (28 avril 1919)28 qui mettait fin à la Première Guerre mondiale entre l’Allemagne et les États de l’Entente (France, Grande-Bretagne, Italie, États-Unis)29. Bien que le président libéral américain Woodrow Wilson fut le principal inspirateur et instigateur de la SDN, le Sénat américain refusa de ratifier le traité de Versailles, de telle sorte que les États-Unis ne furent jamais membres de l’organisation. Celle-ci suscita néanmoins un véritable engouement en Europe en renforçant la conviction que la guerre était écartée à tout jamais. Dans les faits, toutefois, la SDN ne réussit qu’à régler des conflits mineurs et elle fut incapable de s’opposer à la politique de réarmement et à l’esprit revanchard de l’Allemagne nazie qui menèrent au déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale en 1939. Cet échec incita les fondateurs de l’ONU à doter la nouvelle organisation d’une charte différente de celle de la SDN, afin d’accroître son efficacité en matière de maintien de la paix. Huit éléments en particulier distinguent les deux organisations (voir tableau 2.4).

TABLEAU 2.4 Société des Nations en comparaison l’Organisation des Nations Unies

SDN

ONU

1. La charte de la SDN est constituée par 26 articles du traité de Versailles mettant fin à la Première Guerre mondiale.

La charte de l’ONU est indépendante des traités mettant fin à la Seconde Guerre mondiale.

2. La SDN n'était pas une organisation.

L’ONU est une organisation universelle.

3. La charte de la SDN lui interdit de s’impliquer dans des conflits entre États non membres et dans des traités mettant fin à des conflits.

La charte de l’ONU lui permet de s’impliquer dans des conflits entre États non membres et dans des traités mettant fin à des conflits.

4. En matière de maintien de la paix, le Conseil de la SDN ne peut adopter que des recommandations à l’unanimité.

En matière de maintien de la paix, le Conseil de sécurité de l’ONU peut adopter des décisions obligatoires pour tous les États membres de l’organisation s’il rallie la majorité des 15 États membres du Conseil incluant l’assentiment ou l’abstention des cinq membres permanents : URSS/Russie, Chine, France, Royaume-Uni, États-Unis.

5. La charte de la SDN n’interdit pas aux États de recourir à la force armée contre d’autres États.

La charte de l’ONU interdit à tous les États de recourir à la force armée contre un autre État sauf en cas d’agression.

6. La SDN ne dispose d’aucune force armée.

L’article 47 du chapitre 7 prévoit la création d’une force multinationale permanente sous le contrôle du CS et d’un état-major supranational capable d’imposer par la force la cessation des hostilités entre États. L’article 47 ne sera jamais appliqué. L’alternative sera la création des casques bleus, armées ad hoc formées par les contingents de soldats fournis par les États membres et placés sous le contrôle du CS.

7. La SDN n’a aucun pouvoir d’intervention en matière de relations économiques internationales.

L’ONU supervise ou contrôle plusieurs organisations qui visent à assurer la stabilité économique des nations, à promouvoir les échanges entre elles ou à soutenir le développement des pays pauvres.

8. Les recommandations de l’Assemblée générale de la SDN sont adoptées à l’unanimité.

Les recommandations de l’Assemblée générale de l’ONU sont adoptées à la majorité simple ou des deux tiers.

La SDN était fondée sur le principe du respect du traité de Versailles qui imposait de lourdes réparations à l’Allemagne et un nouvel ordre politique favorable aux puissances victorieuses de la Première Guerre mondiale. Cette situation fut largement responsable des conflits ultérieurs entre l’Allemagne d’une part, la France, la Grande-Bretagne et leurs Alliés d’autre part. Afin d’éviter de tels conflits, la Charte de l’ONU a été élaborée sur une base indépendante des traités mettant fin à la Deuxième Guerre mondiale.

La SDN ne parvint jamais à avoir un caractère universel. Cinquante-huit pays y participèrent réellement bien que soixante-trois, dont les États-Unis, envisagèrent d’y adhérer. Cette situation favorisa la persistance de conflits entre vainqueurs et vaincus tout en empêchant l’organisation de résoudre les différends entre États membres et États non membres. L’ONU, en comparaison, est universelle, étant ouverte à tous les États qui acceptent et appliquent les principes de sa Charte.

La Charte de la SDN lui interdisait de s’impliquer dans des conflits entre États non membres et dans des traités mettant fin à des conflits. l’ONU peut s’impliquer dans des conflits entre États non membres et dans des traités mettant fin à des conflits.

Les pouvoirs du Conseil de la SDN en matière de maintien de la paix étaient très limités puisque ses membres ne pouvaient adopter que des recommandations à l’unanimité. Le Conseil de sécurité de l’ONU détient des pouvoirs beaucoup plus importants puisqu’il peut adopter des résolutions qui ont un caractère obligatoire pour tous les États membres de l’ONU si celles-ci sont entérinées par la majorité des quinze États membres du Conseil (onze avant 1963), incluant l’assentiment ou l’abstention des cinq membres permanents.

La Charte de la SDN n’interdisait pas le recours à la force. Le Pacte Brian-Kellogg de 1928 condamnera la guerre, mais l’absence de définition du terme « guerre » permettra aux États de qualifier leurs agressions militaires contre d’autres États de simples « incidents ». La Charte de l’ONU, par contre, interdit explicitement le recours à la force armée d’un État contre un autre État.

La SDN ne disposait d’aucune force armée. L’article 47 du chapitre 7 de la Charte de l’ONU prévoit la création d’une force multinationale permanente sous le contrôle du Conseil de sécurité et d’un état-major supranational capable d’imposer par la force la cessation des hostilités entre États. L’article 47 ne sera jamais appliqué mais l’ONU créera les Casques bleus, armées ad hoc constituées de soldats fournis par les États membres et placés sous l’autorité du Conseil de sécurité.

La SDN n’avait aucun pouvoir d’intervention en matière économique contrairement à l’ONU.

Les recommandations de l’Assemblée générale de la SDN étaient adoptées à l’unanimité alors que celles de l’ONU sont entérinées par une majorité simple ou des deux tiers.

57Comme le souligne Gerbet, c’est la philosophie de la SDN qui constitua la principale cause de la faiblesse de sa structure et de ses mécanismes. La France voulait « une SDN forte, capable de surveiller l’Allemagne, de faire respecter les traités de paix, disposant à cet effet d’une force militaire, véritable instrument de force collective ». L’Angleterre et les États-Unis étaient hostiles à ce « militarisme international » ; ils estimaient qu’une force armée risquait de limiter la souveraineté des États ; n’ayant pas de souci de sécurité vis-à-vis de l’Allemagne, ils ne voulaient pas d’une « société coercitive » mais d’une « société par bonne volonté », avec le simple engagement de recourir à la médiation internationale en cas de litige. Craignant de voir le droit corrompu par l’usage de la force mise à son service, ils considéraient que la SDN, reflet de l’opinion publique internationale, devait agir en exerçant une pression morale sur les États en vue du maintien de la paix30. En apparence, ce débat semble opposer deux conceptions différentes : la conception réaliste de la France et la conception libérale des pays anglo-saxons. En réalité, au-delà de ces discours philosophiques, chaque puissance défendait sa position géopolitique et ses intérêts particuliers.

58L’ONU est l’incarnation d’un compromis entre les visions réaliste et libérale des relations internationales, les dispositions de la Charte en matière de maintien de la paix s’inspirant davantage de la première et les pouvoirs dévolus aux organisations à vocation économique du système des Nations Unies relevant davantage de la seconde. Le fait que la Deuxième Guerre mondiale ait été déclenchée à la suite de la plus grave dépression économique de l’Histoire a contribué à sensibiliser les réalistes à l’argument des libéraux selon lequel les guerres sont largement causées par les inégalités économiques. Désormais, cette dimension sera de plus en plus prise en compte, tant par les décideurs que par les théoriciens des relations internationales.

Les principaux organes de l’ONU

59Comme l’indique le tableau 2.5, le dispositif institutionnel central de l’ONU comprend l’Assemblée générale des États membres (192 en 2009)31, le Conseil de sécurité (15 États membres depuis 1963), la Cour internationale de justice, le Conseil économique et social, le Conseil de tutelle et le Secrétariat.

60L’Assemblée générale. Organe de délibération, l’assemblée générale est le seul des six principaux organes de l’ONU où prévaut l’égalité juridique des États, i.e. où un État = un vote. Elle tient une session régulière annuelle (de septembre à février), et des sessions extraordinaires sur demande du Conseil de sécurité. Elle fonctionne en séance plénière ou en commissions. La majorité des sujets à l’ordre du jour d’une session sont discutés dans les six commissions : désarmement et sécurité internationale ; économie et finances ; questions humanitaires, sociales et culturelles ; questions politiques spéciales (non abordées par la première commission) et décolonisation ; administration et budget ; droit international. Lorsque nécessaire, l’Assemblée crée des groupes de travail ad hoc. Au fil des années, les États membres (51 en 1946, 192 en 2009) se sont regroupés au sein de cinq réseaux : Asie, Afrique, Amérique latine et Caraïbes, Europe orientale, Europe occidentale et autres. Bien que ces coalitions soient fluctuantes, elles servent, dans divers débats, à défendre les intérêts communs des États d’une même région.

L’Assemblée générale est essentiellement un forum de discussion et un organe délibérant, qui peut discuter toutes questions ou affaires rentrant dans le cadre de la Charte de San Francisco. Elle peut notamment attirer l’attention du Conseil de sécurité sur des situations dangereuses pour le maintien de la paix et, le cas échéant, faire des recommandations, étant cependant entendu que c’est le Conseil de sécurité qui, au premier chef, est compétent en la matière32.

61Elle dispose des pouvoirs suivants : a) discuter et adopter des résolutions, déclarations et conventions, non contraignantes, sur toute question ou affaire découlant de la Charte ; b) admettre ou rejeter la candidature d’un nouvel État membre proposée par le Conseil de sécurité ; c) désigner les membres non permanents du Conseil de sécurité et les membres du Comité économique et social et du Conseil de tutelle ; d) voter le budget et décider de toute question relative à l’administration de l’organisation ; f) recevoir les rapports du Conseil de sécurité et des autres organes de l’organisation ; g) désigner le secrétaire général et les juges de la Cour internationale de justice conjointement avec le Conseil de sécurité. Les décisions sont prises à la majorité simple lorsqu’il s’agit de questions de procédure et à la majorité des deux tiers lorsqu’il s’agit de questions de fond (paix et sécurité, admission des États membres, budget). Un certain nombre de résolutions sont adoptées sans vote, à la suite des consultations informelles entre les délégations des États membres.

TABLEAU 2.5. Le système des Nations Unies

TABLEAU 2.5. Le système des Nations Unies

Agrandir Original (jpeg, 591k)

62Le Conseil de sécurité. Le Conseil de sécurité comprend cinq membres permanents – la République populaire de Chine (RPC), qui a remplacé Taïwan en 1971, la France, le Royaume-Uni, les États-Unis et la Russie (qui occupe le siège de l’URSS depuis 1991) et dix membres non permanents élus pour deux ans. Les membres non permanents ne peuvent assumer deux mandats consécutifs. La représentation des diverses régions géographiques est l’un des principaux critères sur lesquels se fonde l’assemblée générale pour choisir les membres non permanents du Conseil de sécurité. L’élection au Conseil de sécurité ne va pas de soi. Près de la moitié des membres de l’ONU n’y ont siégé qu’une seule fois, et près du quart n’y ont jamais participé.

63Le Conseil de sécurité est le seul organe de l’ONU qui détient un pouvoir de décision en matière de maintien de la paix. C’est également la seule instance dont les décisions ont un caractère obligatoire pour tous les États membres de l’organisation. L’autre prérogative importante du Conseil est la recommandation de la candidature d’un nouvel État membre et du secrétaire général à l’assemblée générale. Toutes les décisions portant sur le maintien de la paix exigent la majorité qualifiée, soit 9 voix sur 15 incluant l’approbation, l’abstention ou la non-participation au vote des cinq membres permanents. En d’autres termes, pour qu’une décision soit adoptée, il faut qu’elle recueille la majorité des voix et qu’aucun des cinq membres permanents n’oppose son veto. Un seul de ces derniers peut donc bloquer une décision du Conseil relativement au maintien de la paix, ce qui confère à la France, aux États-Unis, à la Russie, au Royaume-Uni et à la Chine un pouvoir énorme.

64Lorsqu’il s’agit de questions de procédure ou de décisions qui doivent être soumises à l’Assemblée générale, comme l’admission de nouveaux États membres ou l’élection du secrétaire général, le veto des cinq membres permanents est sans effet. Ainsi, en 1971, bien que les États-Unis aient opposé leur veto à la candidature de la RPC, celle-ci a été acceptée parce qu’elle a recueilli la majorité des deux tiers à l’Assemblée générale.

65Tout État membre de l’ONU qui n’est pas membre du Conseil de sécurité peut participer aux délibérations de celui-ci s’il juge que ses intérêts sont affectés par ces dernières ou s’il est impliqué dans un différend examiné par le Conseil.

66Les pouvoirs spécifiques du Conseil de sécurité sont définis dans les chapitres vi, vii, viii et ix de la Charte de l’ONU. En résumé, ses pouvoirs consistent : (1) à rechercher un règlement pacifique de tout différend interétatique susceptible de menacer la sécurité internationale (chapitre vi) ; (2) à agir, par la force armée si nécessaire, en vue de résoudre toute situation qui menace la paix internationale (chapitre vii).

67Le Conseil économique et social. Cet organe est formé de 54 États membres élus pour trois ans par l’Assemblée générale. Son mandat est très large, ce qui peut expliquer qu’il a souvent été critiqué pour son manque d’efficacité. Premièrement, il supervise le travail de 25 comités qui élaborent des politiques sur autant d’aspects de sa mission économique et sociale (statistiques, population et développement social, droits de la personne, condition de la femme, trafic de stupéfiants, énergie et développement durable, etc). Deuxièmement, il reçoit les rapports des agences spécialisées et instances de l’ONU à vocation économique et sociale et coordonne leurs travaux. À ce titre, il est le principal maître d’œuvre des conférences internationales de l’ONU qui traitent de questions économiques et sociales. Il est la porte d’entrée de l’ONU pour les ONG qu’il a introduites comme consultants auprès des commissions et institutions qu’il supervise.

68Le Conseil de tutelle. Cet organe était chargé de superviser l’administration des territoires placés sous tutelle, à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Ce régime concernait des territoires encore placés sous mandat de la SDN et parfois transférés à une autre puissance administrante, comme les États-Unis qui avaient pris le relais du Japon dans les îles Mariannes, Carolines et Marshall du Pacifique. L’importance du Conseil de tutelle a diminué au fur et à mesure que les onze territoires sous tutelle accédaient progressivement à l’indépendance. Après l’accession, en novembre 1993, des îles Palau (Micronésie) au statut d’État souverain lié aux États-Unis par un accord de libre-association, la mission du Conseil de tutelle a été suspendue en 1994. Sa reconversion est à l’ordre du jour.

69La Cour internationale de justice. La Cour internationale de justice est le seul exemple de juridiction internationale universelle à compétence générale33. Elle siège à La Haye (Pays-Bas) et regroupe tous les États membres de l’ONU et les États non membres recommandés par le Conseil de sécurité. Elle possède une double compétence : d’une part, elle donne des avis consultatifs sur des questions juridiques qui lui sont transmises par les organes et agences de l’ONU responsables devant l’Assemblée générale ; d’autre part, elle se prononce sur les différends entre États membres lorsqu’elle est saisie par ces derniers. La Cour est formée de quinze juges dont le mandat est de neuf ans. Tous les trois ans, l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité élisent, à la majorité absolue, 5 des 15 juges. Ces derniers, renommés pour leur très haute compétence en droit international, peuvent être réélus pour plus d’un mandat consécutif.

70Le Secrétariat. Le secrétaire général dirige la lourde bureaucratie administrative de l’ONU. Il bénéficie d’une autonomie politique qui lui permet d’attirer l’attention du Conseil de sécurité sur toute question qu’il juge importante. Il peut également agir à titre de médiateur dans les conflits internationaux. Sa fonction la plus importante demeure toutefois l’arbitrage des conflits internes à l’organisation. Par conséquent, le choix du secrétaire général est un processus complexe et difficile qui consiste à trouver un candidat acceptable, tant pour les cinq membres permanents du Conseil que pour les deux tiers des membres de l’Assemblée générale. Ceci explique que tous les candidats qui ont occupé ce poste depuis 1945 provenaient de pays relativement neutres ou indépendants des grandes puissances : Trygve Lie, Norvégien (1946-1953), Dag Hammarskjöld, Suédois (1953-1961), Sithu U Thant, Birman (1961-1971), Kurt Waldheim, Autrichien (1972-1981), Javier Perez de Cuellar, Péruvien (1982-1991), Boutros Boutros-Ghâli, Égyptien (1991-1995), Kofi Annan, Ganéen (1996-2006), Ban Ki-moon, Sud-Coréen (depuis 2006). Le secrétaire général est élu pour cinq ans et rééligible.

L’évolution de l’ONU

71Pendant la guerre froide. Bien que sa Charte lui confère des pouvoirs beaucoup plus étendus que ceux de la SDN en matière de maintien de la paix, l’ONU ne sera pas en mesure de les exercer pleinement pendant la guerre froide (1947-1990) en raison des conflits entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité34. Entre autres choses, ces conflits empêcheront le fonctionnement du Comité d’état-major onusien, constitué des chefs des états-majors des Cinq Grands, prévu à l’article 47 ; ils priveront l’ONU des forces aériennes qu’en vertu de l’article 45 les États membres devaient tenir à sa disposition en permanence ; ils confineront la plupart des interventions de l’ONU à des opérations de maintien de la paix. L’envoi de troupes onusiennes en Corée, en 1950, exception à cette règle, ne fut possible que parce que le représentant de l’URSS ne participa pas à la décision, son pays boycottant alors le Conseil de sécurité pour protester contre l’attribution du siège de la Chine à Taïwan. La paralysie du Conseil incitera le secrétaire d’État des États-Unis, Dean Acheson, à présenter à l’Assemblée générale de l’ONU, le 3 novembre 1950, la proposition de « l’Union pour le maintien de la paix ». Celle-ci stipulait qu’en cas de blocage au Conseil de sécurité, lors d’un vote sur une question de procédure (qui n’exige pas l’accord des Cinq Grands), la majorité des membres de l’Assemblée générale pouvait convoquer une session spéciale d’urgence de cette dernière afin de prendre position sur un conflit. L’objectif d’Acheson était d’utiliser l’Assemblée générale, alors dominée par des alliés des États-Unis, pour faire pression sur le Conseil de sécurité. L’adoption de la proposition Acheson permit à l’Assemblée générale de se prononcer sur certains conflits internationaux (ex. : condamnation de l’intervention chinoise en Corée du Nord, à la suite du veto soviétique, le 4 novembre 1956 ; demande d’arrêt de l’expédition de Suez, à la suite du veto de la France et de l’Angleterre, le 4 novembre 1956 ; condamnation de l’intervention soviétique à Budapest, à la suite du veto de l’URSS, en 1956). Ces prises de position eurent cependant très peu d’impact sur le déroulement des conflits en cours.

72La paralysie du Conseil de sécurité et la modification de la composition de l’Assemblée générale en faveur des PED, à la suite de l’adhésion des nouveaux États indépendants d’Afrique et d’Asie, contribuèrent à faire de l’ONU une organisation davantage vouée à l’aide au développement qu’au maintien de la paix. Les PED imposèrent leur agenda pour le développement à l’Assemblée générale et influencèrent l’expansion du système des Nations Unies, la majorité des nouvelles institutions créées durant les années 1960 et 1970 ayant pour mission de les assister dans divers domaines : CNUCED (1964), Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR – 1965), ONUDI (1967), Fonds des Nations Unies pour les activités en matière de population (FNUAP – 1967), Fonds international de développement agricole (FIDA – 1977), Université des Nations Unies (UNU – 1976), etc. En dépit du caractère strictement consultatif de la majorité de ces instances, les PED obtiendront des avantages significatifs de la part des pays riches, notamment une augmentation de l’aide au développement et des concessions commerciales ; mais le « nouvel ordre économique international », réclamé par le groupe des 77 durant les années 1970, ne verra jamais le jour. Cependant, les États-Unis perdront l’influence prépondérante qu’ils exerçaient sur l’Assemblée générale et le système des Nations Unies durant la période 1945-1970, ce qui alimentera leur critique de « l’inefficacité » et du « déficit démocratique » de l’ONU.

73Après la guerre froide. La restauration d’une économie de marché et de la démocratie dans les pays de l’ex-bloc communiste soviétique, la disparition de l’URSS et l’engagement de la RPC sur la voie du capitalisme et d’une relative libéralisation politique ont mis fin à la guerre froide et atténué les antagonismes au Conseil de sécurité, entre la Russie et la RPC d’une part, les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne d’autre part. Le nombre des résolutions adoptées au Conseil de sécurité a presque doublé, passant de 593 (entre 1945 et 1986) à 1010 (entre 1987 et 2005). Le pourcentage des résolutions bloquées par le veto d’un membre permanent, qui était de 85 % au cours de la première période, est tombé à 15 % au cours de la seconde35. Entre 1988 et 1994, ce nouveau climat d’entente a permis au Conseil de s’engager dans un nombre sans précédent d’interventions dont plusieurs iront au-delà du maintien de la paix pratiqué durant la guerre froide. Fondées sur les articles 45 à 47 de la Charte, auxquelles les Cinq Grands accepteront désormais de recourir, elles seront centrées sur le rétablissement de la paix (ex. : Namibie, 1989-1990 ; Angola, 1991-1995 ; Haïti, 1996-1997) l’imposition de la paix (ex. Somalie, 1992-1993 ; Bosnie-Herzégovine et Croatie, 1992-1995) et/ou la reconstruction nationale post-conflit (ex. Cambodge, 1992-1995 ; Bosnie, 1995-2000 ; Kosovo, 1999 à aujourd’hui ; Afghanistan, 2001 à aujourd’hui).

74Comme nous l’avons mentionné précédemment, plusieurs de ces missions seront toutefois des échecs ou des demi-réussites. Le principal facteur qui explique ces résultats décevants est qu’en dépit d’un meilleur climat d’entente au sein du Conseil de sécurité, les cinq membres permanents demeurent souvent divisés en raison de leurs intérêts nationaux spécifiques. Lorsqu’ils ne parviennent pas à s’entendre, le Conseil de sécurité s’avère incapable de donner un mandat clair aux Casques bleus et de leur fournir les ressources militaires et logistiques essentielles au succès de leur mission. Les problèmes inhérents à la machine onusienne (lenteurs bureaucratiques, improvisation, lourdeur de la chaîne de commandement, etc.) et le manque d’expérience de l’ONU en matière de guerres civiles, d’administration civile et de reconstruction nationale sont également responsables des résultats mitigés d’un certain nombre d’opérations de paix post-guerre froide. Cela explique que l’ONU ait décidé de confier de plus en plus souvent ces interventions à des coalitions d’États membres et/ou à des OI régionales (telles l’OTAN, l’UE, l’OEA et l’UA). Elle a également impliqué les organisations non gouvernementales (ONG) et plusieurs programmes et institutions spécialisées des Nations Unies dans ses missions de reconstruction nationale, d’administration civile, d’observation des élections et de secours à des populations en détresse. La multiplication des intervenants a toutefois pour effet de complexifier la coordination des opérations et de retarder la résolution des problèmes sur le terrain. Enfin, le bilan des opérations post-guerre froide tend à démontrer que même lorsqu’une intervention de l’ONU dispose du soutien de l’ensemble des membres du Conseil de sécurité et d’importantes ressources financières, logistiques, militaires et civiles, il demeure très difficile, sinon impossible, d’imposer la paix ou la reconstruction nationale à un pays au sein duquel les forces domestiques demeurent en conflit ouvert ou larvé. Le succès d’une mission dépend au premier chef de la volonté de tous les acteurs nationaux de conclure la paix et de travailler collectivement au rétablissement de la stabilité politique et au développement économique et social de leur pays.

75La fin de la guerre froide a également permis au Conseil de sécurité de recourir beaucoup plus fréquemment à des sanctions contre les États qui violent ses résolutions ou la charte de l’ONU. Alors qu’entre 1945 et 1990 seules la Rhodésie du Sud et l’Afrique du Sud avaient été la cible de sanctions, 35 résolutions impliquant des sanctions ont été adoptées à l’encontre de 15 pays – majoritairement africains – et de Al-Qaida et des talibans entre 1990 et 2005. L’expérimentation de ces mesures de représailles a démontré que les dirigeants des pays visés pouvaient facilement profiter de certaines de ces sanctions (telles les embargos sur les importations et les armes) en recourant au marché noir, alors que leurs populations étaient les principales victimes de ces dernières. Le Conseil de sécurité a donc révisé sa politique de sanctions afin de privilégier les mesures qui pénalisent les dirigeants des pays cibles (notamment le gel de leurs investissements et leur interdiction de séjour à l’étranger).

76Parallèlement à la multiplication des opérations de maintien de la paix et des sanctions, on a assisté à une remise en question du caractère absolu et intangible de la souveraineté des États. À l’Assemblée générale comme au Conseil de sécurité et dans d’autres instances de l’ONU, une nouvelle vision plus libérale du droit international, selon laquelle les droits des individus, des minorités nationales et des peuples priment sur ceux des États, a acquis de plus en plus d’influence. Bien que cette nouvelle conception soit rejetée par de nombreux États, il est possible qu’elle s’affirme de plus en plus en raison des progrès de la démocratie, de l’implication de plus en plus prononcée des ONG au sein de l’ONU, et de la limitation de la souveraineté des États dans le contexte de la mondialisation.

77Les premières années de l’après guerre froide ont également été marquées par une détérioration de la situation financière de l’ONU. En raison d’une augmentation de ses dépenses, dans le domaine du maintien de la paix notamment, et du refus de plusieurs États membres, dont les États-Unis, de payer leurs cotisations en retard et de l’autoriser à emprunter, l’ONU s’est retrouvée aux prises avec un très lourd déficit budgétaire, qui atteignait 2,2 milliards de dollars en 1995. Certains ont expliqué cette situation par l’insatisfaction des États-Unis et de plusieurs États occidentaux envers la mauvaise gestion de la bureaucratie onusienne, qui demeure relativement inefficace malgré les salaires et comptes de dépenses très élevés de ses milliers de fonctionnaires. La situation financière de l’ONU s’est améliorée en 2001, lorsque les États-Unis et d’autres pays ont payé leurs arriérés pour l’inciter à s’impliquer dans la lutte contre le terrorisme. La gouvernance de l’ONU demeure néanmoins problématique, malgré les timides tentatives de réformes de Boutros Boutros-Ghali et Kofi Annan.

78L’aide au développement qui s’était imposée comme principale préoccupation de l’ONU durant la guerre froide a perdu de son importance depuis 1990. Le recentrage de l’ONU sur le maintien de la paix n’est pas le seul facteur qui explique cette évolution. La crise économique et l’adhésion aux vertus du libéralisme ont incité les principaux États donateurs à diminuer leur aide et à remettre en question l’efficacité des programmes d’assistance des décennies antérieures. Une nouvelle approche de l’aide, plus directive et plus conforme aux valeurs du capitalisme libéral et de la démocratie, a été adoptée par les institutions et les partenaires de la Banque mondiale en 1992. L’aide est désormais octroyée aux entreprises privées plutôt qu’aux gouvernements ; elle est conditionnelle à la mise en œuvre de réformes favorables à la libéralisation de l’économie, à l’amélioration de la bonne gouvernance et au respect des droits de la personne ; elle est de plus en plus liée à la création de nouveaux marchés et opportunités d’investissement pour les firmes des pays donateurs. De leur côté, les PED ne sont plus ni en mesure ni désireux de poursuivre une stratégie de confrontation avec les pays riches. L’échec de leur lutte en faveur d’un nouvel ordre économique international et les nombreuses autres mutations auxquelles ils ont été confrontés depuis les années 1970 ont fait éclater la coalition du tiers-monde et sérieusement érodé les idéologies nationaliste et anti-impérialiste qui lui donnaient sa cohésion et sa légitimité. On assiste donc, depuis 1990, à un affaiblissement de l’influence du bloc des PED et au déclin des organisations des Nations Unies nées grâce à cette influence.

79Bilan et perspectives de l’action de l’ONU. La plupart des auteurs réalistes et libéraux reconnaissent l’échec du système de sécurité collective de l’ONU – qui n’a fonctionné que deux fois en cinquante ans, lors des guerres de Corée (1951-1953) et du Golfe (1991) – et admettent l’existence de graves problèmes administratifs et financiers au sein du système des Nations Unies. Cependant, alors que pour les réalistes et néoréalistes le bilan de l’action de l’ONU est essentiellement négatif, confirmant les limites de la coopération internationale lorsque celle-ci n’est pas dirigée par un hégémon, les libéraux et néolibéraux font une évaluation plus nuancée et positive.

80Selon Stanley Hoffman, les 50 premières années de l’ONU ont été remarquables en raison de la multiplicité des fonctions assumées par l’organisation. l’ONU a contribué au développement de la coopération entre les États, notamment dans les domaines économique, social et écologique. Elle a participé à la définition des normes de la légitimité internationale au moyen de traités, de déclarations et de politiques, telles celles adoptées en faveur de la décolonisation et de l’abolition de l’apartheid. L’action juridique de l’ONU a amené les États à reconnaître l’importance de la souveraineté des États en matière de droit international et l’importance du respect des droits de la personne en matière de droit interne. En outre, s’il est vrai qu’elle n’est pas parvenue à résoudre les conflits internationaux, conformément aux dispositions du chapitre vii de sa Charte, l’ONU s’est montrée très innovatrice en matière de maintien de la paix. Les limites de l’action de l’ONU en ce qui a trait au maintien de la paix ne peuvent, selon Hoffman, être uniquement attribuées aux conflits d’intérêts entre les puissances permanentes du Conseil de sécurité. Elles tiennent au fait que la majorité des conflits qui déchirent la planète depuis 50 ans sont des conflits internes à caractère ethnique et religieux. S’il est difficile pour l’ONU de résoudre ces conflits par le maintien ou l’imposition de la paix, elle peut cependant contribuer à la limitation de ces conflits en faisant de la prévention, de la médiation et de l’aide humanitaire, conformément aux dispositions prévues par le chapitre vi de sa Charte36.

Les acteurs transnationaux

81En science politique, il est courant d’établir une distinction entre les relations internationales, i.e les rapports que nouent les gouvernements nationaux, régionaux et locaux des États en dehors ou au sein des OI, et les relations transnationales, i.e les liens que tissent les individus et les organisations non gouvernementales (ONG) de divers pays. La littérature sur le sujet ignore les individus et accorde une attention prépondérante à deux catégories d’ONG : les FMN et les ONG légales à but non lucratif, qui défendent des causes humanitaires, notamment l’aide aux PED, la promotion de la démocratie et des droits de la personne, la protection de l’environnement. Elle s’intéresse peu aux autres ONG légales (par exemple les petites et moyennes entreprises [PME] qui ont des activités à l’étranger ou encore les ONG à but non lucratif comme les associations internationales de syndicats, de partis politiques, de mouvements religieux, de scientifiques, de professionnels et d’artistes) et ignore largement les ONG illégales (réseaux criminels, mouvements révolutionnaires, nébuleuses terroristes). Cette section traite des acteurs transnationaux en fonction de la littérature existante. Elle se concentre donc principalement sur les FMN et les ONG « humanitaires », tout en accordant une attention secondaire aux individus et aux ONG illégales.

Les individus

82Il n’existe aucune compilation des relations transnationales effectuées par les individus. Pourtant, ces dernières sont multiples et importantes. Pour s’en convaincre, on peut consulter les statistiques de l’ONU sur les flux migratoires ou touristiques qui ont augmenté de façon très considérable au cours des trente dernières années. Mais ces flux ne représentent qu’une partie des relations transnationales individuelles. Il faut également considérer les transactions économiques et financières transfrontalières qu’effectuent les citoyens (achat d’actions, d’immeubles, de terrains, placements de sommes d’argent dans des paradis fiscaux, etc.) ; les revenus que les immigrants transfèrent à leurs familles dans leurs pays d’origine, et ceux que perçoivent les artistes, les professionnels et les scientifiques pour leurs prestations à l’étranger. Bien que les balances de paiements des différents pays tiennent compte de ces transactions, elles ne les distinguent pas de celles effectuées par les ONG à but lucratif (PME, FMN) et à but non lucratif. Certaines banques centrales comptabilisent cependant les sommes d’argent envoyées par les travailleurs immigrants vers leur pays d’origine. En 2009, ces sommes atteignaient, en dollars US, 42 milliards aux États-Unis, 16,2 milliards en Arabie saoudite et plus de 6 milliards en Suisse. Elles constituaient un revenu de 52 milliards pour l’Inde, 49 milliards pour la Chine, 26 milliards pour le Mexique, 19 milliards pour les Philippines et entre 7 et 9 miliards pour la Pologne, le Nigeria, la Roumanie, le Bangladesh, l’Égypte et le Vietnam. L’absence d’évaluation systématique et fiable des relations transnationales individuelles est certainement un problème, car ces dernières ont un impact majeur sur la société internationale. Mais comment les comptabiliser, alors qu’elles ont pris une ampleur sans précédent dans le cadre de la mondialisation et qu’une multitude d’entre elles sont de nature virtuelle, se concrétisant à travers les sites Internet des organisations gouvernementales et non gouvernementales, les messageries électroniques, les réseaux sociaux comme Facebook et Twitter, les télécopieurs et les téléphones traditionnels, cellulaires ou satellitaires ? On retiendra cependant que la multiplication exponentielle des communications quotidiennes entre des millions d’individus de divers pays est un phénomène nouveau, qui modifie en profondeur les relations transnationales. Il faut souhaiter que les spécialistes s’y intéressent davantage dans un proche avenir.

Les firmes multinationales

83Selon Gilpin, les FMN sont des entreprises qui ont des succursales dans deux pays ou plus37. Cette définition englobe plusieurs PME qui ont des bureaux ou des usines à l’étranger. Par exemple, le cabinet d’avocats québécois Fasken Martineau a désormais des bureaux à Londres et Paris. Elle serait donc une FMN selon cette définition. Mais les auteurs néoréalistes, marxistes, néo-marxistes et néolibéraux qui ont étudié le phénomène des FMN se sont concentrés sur les grandes corporations qui ont des succursales à travers le monde et dont le chiffre d’affaires est souvent supérieur à celui du PIB des pays d’accueil. Les FMN sont souvent considérées comme une catégorie spécifique d’ONG. Or, elles n’en sont pas toutes. Si la plupart sont aujourd’hui entre les mains d’intérêts privés, plusieurs demeurent totalement ou en partie la propriété d’un gouvernement et/ou sont soumises au contrôle direct ou indirect de ce dernier (ex. Gazprom, Électricité de France, Statoil, Petrobras).

84Depuis l’Antiquité, et plus particulièrement depuis les débuts du capitalisme à l’aube du XVIIe siècle, des entreprises commerciales, manufacturières et bancaires, indépendantes ou dépendantes du financement, du contrôle ou de la protection des gouvernements, se sont installées dans des marchés étrangers afin d’exploiter leurs ressources naturelles et leur main-d’œuvre, vendre leurs marchandises ou leurs services et réaliser des investissements directs ou de portefeuille. Les FMN ont cependant connu une expansion sans précédent à partir du début des années 1970. Deux facteurs expliquent cette expansion : la crise du modèle keynésien, qui a incité plusieurs entreprises à délocaliser une partie de leur production vers les pays du tiers-monde ; le remplacement du modèle keynésien par le modèle néolibéral qui a entraîné une libéralisation des échanges beaucoup plus grande qu’auparavant et encouragé la mondialisation des FMN (voir chapitre 4). Selon Gilpin, en 1999, la CNUCED recensait environ 60 000 FMN non financières qui contrôlaient quelque 500 000 filiales, contre à peine 7000, 20 ans plus tôt. Des pans entiers des économies des PED passent sous leur contrôle. On leur attribue au moins 25 % de la production mondiale. En 1998, leurs ventes de biens et de services s’élevaient à 11 trillions de dollars US, beaucoup plus que l’ensemble des exportations mondiales évaluées à 7 trillions de dollars US. Elles contrôlaient le tiers des avoirs productifs détenus par le secteur privé dans le monde, quelques centaines d’entre elles détenant une position prépondérante à cet égard. Elles assumaient près des trois quarts des échanges mondiaux de biens manufacturés, dont une bonne partie découle du commerce intrafirme, i.e. des échanges qu’elles font avec leurs filiales.

85Quoique impressionnants, ces chiffres sont désormais dépassés. Selon Willetts38, en 2008, le nombre des FMN non financières atteignait 77 200. Alors que Gilpin, en 2003, soutenait que la majorité des FMN étaient concentrées dans les PD, Willetts constate que les FMN sont aujourd’hui établies dans 138 pays : 35 étant des PD et 103 des pays émergents, dont 31 situés en Afrique. Si l’origine des FMN les plus riches demeure largement occidentale – parmi les 100 FMN possédant le niveau le plus élevé d’actifs, 53 sont ouest-européennes et 25 américaines –, de plus en plus de FMN originent de moyennes puissances industrialisées, comme le Canada, la Suède et l’Australie, d’ex-pays communistes comme la Russie, ou de NPI comme la Chine, la Malaisie, la Corée du Sud, Singapour, le Brésil et l’Inde, et deviennent des concurrents redoutables des FMN américaines et européennes. On n’a qu’à penser à Bombardier (FMN québécoise) et Embraer (FMN brésilienne) qui concurrencent désormais Boeing et Airbus dans le domaine des avions et à Bombardier qui est l’une des quatre principales FMN de construction de trains à grande vitesse sur le plan mondial.

86Dans le contexte de la libéralisation des échanges, qui a acquis une portée sans précédent avec l’Uruguay Round du GATT (1986-1993), les FMN exercent un contrôle énorme sur les économies nationales car elles peuvent délocaliser leurs activités dans tel ou tel pays en fonction des coûts de production (salaires, prix des matières premières) ou des avantages (faibles taux d’imposition, prêts garantis, subventions, énergie à bas prix, etc.) que leur concèdent les gouvernements. Dans un tel contexte, les PD sont de moins en moins concurrentiels par rapport aux NPI. Selon l’OCDE, ce sont les FMN qui sont principalement à l’origine de l’industrialisation des PED et de l’émergence d’une NDIT entre le Nord et le Sud. Dans la mesure où elles influencent l’offre et la demande de monnaie et de capitaux, les FMN, notamment financières, exercent un contrôle sur les politiques de taux de change et de taux d’intérêt des banques centrales des différents pays. Il faut également mentionner l’importance considérable du commerce intrafirme qui n’est pas comptabilisé dans la balance des paiements des pays, et qui fausse les données sur la situation économique d’un État. Par exemple, le déficit commercial des États-Unis, qui est très important, est largement dû au fait que les nombreuses FMN américaines importent de leurs succursales ou de sous-traitants étrangers une large partie, sinon la majorité, des produits qu’elles vendent sur le marché américain. Ainsi, la plupart des biens vendus par Wal-Mart sont fabriqués en Chine.

87Tous les auteurs le constatent : la puissance des FMN est énorme et concourt à l’affaiblissement de la souveraineté des États. Faut-il pour autant conclure que les FMN sont devenues les principaux acteurs du système international et qu’elles dictent désormais la politique étrangère des États ? Si plusieurs auteurs, tels Cox et Rosenau39, tendent à accréditer cette idée, la plupart reconnaissent, à l’instar de Gilpin, que les FMN demeurent soumises aux règles du droit international et des droits nationaux édictées par les gouvernements40. Ces derniers sont par ailleurs des bailleurs de fonds très importants des FMN : octroi de prêts et de garanties de prêts pour les aider à réaliser des projets, les convaincre d’investir dans leur pays plutôt qu’ailleurs, leur permettre de se restructurer en cas de faillite, etc. Les plans de sauvetage de la Réserve fédérale et du Conseil du trésor américains qui ont permis à Bank of America, Merryl Linch, Goldman Sachs, General Motors et Chrysler de survivre, lors de la crise de 2008-2009, sont une ilustration éloquente du pouvoir que conservent les gouvernements à l’endroit des FMN. Enfin, soulignons que si la mondialisation a augmenté la puissance des FMN, elle a également permis aux groupes d’intérêts et aux individus de différents pays de créer des coalitions et des réseaux à l’encontre de ces dernières. Dans les démocraties, qui sont nettement plus nombreuses que dans le passé, la politique étrangère des États est plus que jamais l’enjeu d’un arbitrage entre les demandes des FMN, des autres groupes d’intérêts et des citoyens. Elle est le résultat d’un jeu à somme variable et non d’un jeu à somme nulle attribuant tous les bénéfices aux FMN et tous les coûts aux autres acteurs.

Les ONG légales

88Il n’existe aucune recension relativement complète et fiable des ONG légales transnationales, formelles ou informelles. Le régistre de la World Association of Non-Governmental Organizations (WANGO) fait état, en 2009, de 43 000 ONG légales (à l’exclusion des FMN). Bien que ce nombre soit certainement en deça de la réalité, cette compilation est intéressante dans la mesure où elle montre que la majorité de ces ONG sont d’origine nord-américaine ou européenne (voir tableau 2.6). Selon Ahmed et Potter41, les ONG légales (incluant les FMN) se sont multipliées depuis 1945 en raison de quatre facteurs : la décolonisation des pays d’Afrique et d’Asie ; les progrès de la démocratie durant les années 1970 et 1980 et à la suite de la guerre froide ; l’approfondissement de la libéralisation des échanges et les innovations fulgurantes dans le domaine des communications depuis 1980. Cependant, comme nous l’avons déjà souligné, ce sont les ONG à but non lucratif et à vocation humanitaire, d’origine nord-américaine et européenne, qui ont surtout retenu l’attention des chercheurs.

89La première raison est que le nombre de ces ONG a beaucoup augmenté à partir de 1990, lorsque la Banque mondiale et les agences d’aide gouvernementales des principaux pays donateurs de l’OCDE ont décidé de conditionner leur aide aux PED au respect de la bonne gouvernance et des droits de la personne par ces derniers, tout en confiant la mise en œuvre de leurs programmes à des ONG, afin de réduire leurs coûts, dans le contexte de la lutte contre les déficits budgétaires, conséquence de la crise du modèle keynésien (voir chapitre 4)42. La deuxième raison est que plusieurs moyennes puissances, comme le Canada, désireuses d’augmenter leur influence au sein de l’ONU, ont fait campagne en faveur de l’intégration de certaines de leurs ONG humanitaires auprès du Comité économique et social, de la Commission des droits de l’homme et de l’Organisation des Nations Unies pour la science, l’éducation et la culture (UNESCO), en tant que consultants et observateurs43. l’ONU a acquiescé à ces demandes. Plus de 600 ONG participent aux conférences annuelles des ONG de l’ONU. Grâce à leur présence, à titre de consultants, au sein de plusieurs des 25 commissions du Comité économique et social, elles sont devenues des acteurs majeurs des conférences internationales de l’ONU. Elles étaient 1 400 au Sommet de la Terre de Rio de Janeiro en 1992, et ont mobilisé 40 000 supporteurs lors de la Conférence de Beijing sur les femmes en 1997. La troisième raison est la fin de la guerre froide, qui a permis au Conseil de sécurité de cautionner plusieurs interventions de la Communauté internationale dans des conflits internes afin non seulement de restaurer la paix, mais de reconstruire les institutions économiques, sociales et politiques des pays visés. Ces opérations de nationbuilding, très complexes, ont exigé la participation de nombreuses OI et ONG impliquées dans le secours aux populations civiles en détresse, l’aide au développement, l’organisation de sociétés civiles autonomes (création de médias d’information indépendants, de syndicats et autres groupes de pression) et la mise en place d’institutions politiques démocratiques (aide à la création de nouveaux partis politiques, observation des élections, etc.). La fin de la guerre froide a également incité les États-Unis et leurs alliés européens à promouvoir l’établissement de la démocratie, notamment dans les pays de l’ex-bloc communiste soviétique et les anciennes républiques de l’URSS, par diverses stratégies, dont la conditionnalité et les leviers. Plusieurs OI et ONG humanitaires ont été impliquées dans ces stratégies, avec des succès inégaux44. Une quatrième raison, évoquée par Sidney Tarrow45, est le développement d’Internet qui a permis aux ONG humanitaires, opposées à la mondialisation capitaliste, de créer ou de consolider leurs réseaux, de diffuser plus largement leurs revendications et leurs actions, et d’organiser de très vastes rassemblements, comme les forums sociaux mondiaux, qui ont attiré l’attention des médias et des spécialistes. Lors du Forum social mondial de Mumbai en 2004, les ONG ont mobilisé plus de 100 000 participants ! L’engouement des ONG, des médias d’information et des spécialistes pour ces forums a cependant nettement diminué depuis, à cause de l’incapacité des participants anti ou altermondialistes de se doter d’un programme commun de réformes. Selon Willetts, Ahmed et Potter et plusieurs autres auteurs, une cinquième raison explique l’attention prépondérante accordée aux ONG humanitaires par les spécialistes : l’influence qu’ont acquise les théories critiques des relations internationales, centrées par l’idée post-guerre froide que les valeurs démocratiques priment sur tout le reste.

TABLEAU 2.6. Répartition géographique des membres de la World Association of Non-Governmental Organizations

TABLEAU 2.6. Répartition géographique des membres de la World Association of Non-Governmental Organizations

Agrandir Original (jpeg, 216k)

Les ONG illégales

90Les ONG transnationales illégales sont des mouvements ou des réseaux plus ou moins structurés dont les activités transfrontalières contreviennent au droit interne des États et au droit international. Certaines, comme les mafias de divers pays, se livrent uniquement à des activités criminelles (trafics de drogues, de prostitués, d’armes, d’organes humains, d’immigrants, etc.) afin de s’enrichir. D’autres poursuivent des objectifs politiques (indépendance nationale, promotion d’une révolution islamiste, lutte contre des envahisseurs étrangers, etc.), en ayant recours à des méthodes de lutte armée non conventionnelles (milices, guérillas, stratégies terroristes telles que l’enlèvement d’otages, le détournement ou la destruction d’avions civils, l’assassinat de citoyens par des bombes ou des kamizazes) et le recours à des trafics criminels pour se financer. Le phénomène des ONG illégales a toujours existé au cours de l’histoire, mais il est demeuré largement inconnu en raison de l’incapacité des États à coopérer pour le circonscrire. Les échanges d’informations entre les agences de renseignement et les corps policiers des États occidentaux sont désormais beaucoup plus importants, mais ces informations demeurent secrètes pour des raisons évidentes de sécurité nationale. Il est donc impossible de connaître le nombre des ONG illégales et de mesurer leur ampleur par rapport à celle des périodes antérieures de l’histoire.

*

91Les progrès rapides de la libéralisation des échanges, l’essor prodigieux des transports et des communications, l’augmentation du nombre et de la puissance des FMN, la prolifération des ONG légales et l’extension de leur influence au sein du système international ont contribué à diminuer le pouvoir des États. Néanmoins, à l’aube du XXIe siècle, les États et les OI demeurent les acteurs majeurs des relations internationales, puisqu’ils ont conservé le pouvoir de réglementer les activités de tous les autres acteurs dans les différentes sphères de l’activité humaine. La légitimité du pouvoir des États est même plus grande qu’auparavant à cause des progrès de la démocratie qui font qu’un grand nombre de gouvernements sont désormais élus au suffrage universel. Les ONG ont une légitimité beaucoup plus faible puisque leurs dirigeants ne sont pas élus, mais nommés par un groupe restreint d’organismes ou d’individus. En outre, la plupart des ONG humanitaires demeurent dépendantes des subventions et de l’appui du gouvernements. Les FMN, pour leur part, ont très souvent besoin du support du gouvernement de leur pays pour concurrencer les FMN étrangères et pour surmonter une crise ou une menace de faillite.

92La multiplication des OI est l’indice que les États coopèrent davantage entre eux que dans le passé, en raison de leur interdépendance de plus en plus prononcée. Toutefois, cette coopération demeure volontaire, les États étant libres de signer et de ratifier les accords conclus dans le cadre des OI. Les limites imposées à la souveraineté ou à la plénitude, à l’exclusivité et à l’autonomie de la compétence des États par la coopération internationale sont donc relatives. Contrairement à ce que souhaitaient les libéraux, les OI n’ont pas acquis un caractère suprational qui leur permettrait d’imposer leur volonté aux États souverains. L’UE, qui est à ce jour l’OI la plus centralisée, demeure une organisation intergouvernementale ou une confédération dans le cadre de laquelle le pouvoir de décision repose sur le consentement de la majorité ou de la totalité des États membres. Si tous les États souverains sont égaux en droit, ils demeurent inégaux dans les faits, leur pouvoir au sein du système international étant proportionnel à leur puissance, économique et militaire notamment, et à leur capacité de conclure des alliances avec d’autres États. Les progrès de la démocratie font cependant en sorte que l’équilibre des forces entre les États est, davantage qu’hier, déterminé par les tendances de l’opinion publique et le lobbying des ONG. En définitive, on retiendra que la majorité des théories des relations internationales (réaliste, néoréaliste, libérale, néolibérale, constructiviste) conviennent qu’en dépit du déclin du pouvoir des États, ces derniers demeurent les principaux décideurs des relations internationales.

NOTES

1 Pour le texte de ce jugement, voir Jacques-Yvan Morin, Francis Rigaldies, Daniel Turp, Droit international public. Tome II – Document d’intérêt canadien et québécois (Montréal : Éditions Thémis, 1997), 599-625.

2 Des extraits de cette convention sont reproduits dans Jacques-Yvan Morin, Francis Rigaldies et Daniel Turp, Droit international public. Tome I – Documents d’intérêt général (Montréal : Éditions Thémis, 1997), 355-415.

3 Accord relatif à l’essai et à l’évaluation réciproque de systèmes d’armes du 10 février 1993. Voir Morin, Rigaldies et Turp, Droit international public. Tome I, 121-125.

4 Ibid., 289-294.

5 Gonidec et Charvin, Les relations internationales, 25. La première définition a été formulée par Staline en 1913 dans son ouvrage Le marxisme et la question nationale. Selon Olivier Roy, L’Asie centrale contemporaine (Paris : Presses universitaires de France, 2001), 27-28, elle a servi de fondement à la création des républiques soviétiques d’Asie centrale (Turkménistan, Ouzbékistan, Kazakhstan, Tadjikistan, Kirghizistan) entre 1924 et 1936. La seconde définition a été formulée par Benedict Anderson dans Imagined Communities Reflections on the Origin and Spread of Nationalism (New York: Verso, 1991).

6 Convention relative au statut de réfugié (1951) complétée par le Protocole relatif au statut des réfugiés (1967). Voir Morin, Rigaldies et Turp, Droit international public. Tome I, 177-189.

7 Sur ce sujet, voir Diane Éthier, « Is Democracy Promotion Effective ? Comparing Conditionality and Incentives », Democratization, 3, 1 (2003), 99-121.

8 Gonidec et Charvin, Relations internationales, 30.

9 Charte des droits et des devoirs des États, adoptée par l’ONU en 1974.

10 Pour plus d’information voir le site de la Cour internationale de Justice : www.icj-cij.org.

11 Sur ce point, voir notamment Gonidec et Charvin, Relations internationales, 92-150 ; Pierre Weiss, Les organisations internationales (Paris : Nathan, 1998), 12-27.

12 Cette affirmation doit être nuancée. Certaines OI, telle l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), se sont dotées d’une charte ou d’un traité constitutif quelques années après leur fondation.

13 Paul Reuter et Jean Combacau, Institutions et relations internationales (Paris : Presses universitaires de France, 1982), 287.

14 La Commission du droit international de l’Assemblée générale de l’ONU a tenté sans succès de faire adopter par les États un projet de cour criminelle internationale en 1953. Un nouveau projet, présenté en 1996, a conduit à l’adoption du Statut de Rome créant la CPI en 1998. Celle-ci a commencé à siéger à La Haye (Pays-Bas) en 2002. Elle n’est compétente que pour les crimes commis depuis juillet 2002. Si la CPI est permanente, les tribunaux pénaux internationaux créés par le Conseil de sécurité (TPR, TPY, tribunaux créés en 2004 pour le Timor oriental, la Sierra Leone et le Cambodge) sont temporaires et le nombre de personnes jugées par ces derniers, limité. Voir Morin, Rigaldies et Turp, Droit international public, Tome I, 467-486.

15 Le Statut de Rome a été adopté le 17 juillet 1998 par la Conférence des Nations Unies pour l’établissement d’une Cour pénale internationale ; il est entré en vigueur le 1er juillet 2002. En avril 2009, 108 États étaient membres de la CPI : 39 pays européens, 30 pays africains, 23 pays latino-américains, le Canada, 7 pays asiatiques et 8 pays de l’Océanie. Près de la moitié des États n’ont donc pas signé ou ratifié le traité de Rome, dont la Russie, les États-Unis, Israël, la Chine et la majorité des pays asiatiques.

16 En juin 2001, c’est la menace des États-Unis et de l’UE de ne pas verser l’aide promise de 1,3 milliard de dollars US à la République fédérale de Yougoslavie qui a convaincu le gouvernement yougoslave de livrer au TPIY l’ex-président Slobodan Milosevic, accusé de crimes de guerre en raison du massacre des Albanais du Kosovo par l’armée serbe. Par contre, le mandat d’arrêt lancé par la CPI contre le président du Soudan en 2008, en raison des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis au Darfour, n’a pas eu de suite jusqu’à maintenant, faute d’appui de la Communauté internationale.

17 Sur les organisations internationales de la période 1945-1990, voir notamment Weiss, Les organisations internationales ; Charles Zorgbibe, Les organisations internationales (Paris : Presses universitaires de France, 4e éd., 1997), 3-6 ; Marie-Claude Smouts, Les organisations internationales (Paris : Armand Colin, 1995) ; Philippe Moreau Desfarges, Les organisations internationales contemporaines (Paris : Le Seuil, 1996).

18 Weiss, Les organisations internationales, 119.

19 John Ikenberry, « Liberal hegemony and the future of American postwar order », in T. V. Paul et John Hall (dir.), International Order and the Future of World Politics (Cambridge: Cambridge University Press, 1999), 123.

20 Sur la relation entre la crise économique et les transitions de l’autoritarisme à la démocratie, voir Stephen Haggard et Robert Kaufman, The Political Economy of Democratic Transitions (Princeton : Princeton University Press, 1995) ; Diane Éthier, « Des relations entre libéralisation économique, transition démocratique et consolidation démocratique », Revue internationale de politique comparée, 8, 3 (2001).

21 Les mouvements de dissidence étaient soutenus par les États-Unis et par plusieurs autres acteurs occidentaux. Le scénario des évènements qui ont conduit à la fin de la guerre froide est fort bien expliqué par Magaret Thatcher dans ses mémoires, 10, Downing Street (Paris : Albin Michel, 1993).

22 Smouts, Les organisations internationales, 139-143. Sur l’évolution des missions des Casques bleus depuis 1990, voir le site de l’ONU et le site www.operationspaix.net.

23 Un des ouvrages les plus complets sur l’évolution de l’ONU depuis 1945 est : Thomas Weiss et Sam Saws (dir.), The Oxford Handbook on the United Nations (Oxford : Oxford University Press, 2007).

24 C’est la destruction par les Japonais de leur flotte du Pacifique, à Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, qui provoqua l’entrée en guerre des États-Unis.

25 « Les Nations Unies » était le nom donné aux Alliés de la Deuxième Guerre mondiale. Franklin D. Roosevelt proposera de donner ce nom à l’organisation universelle imaginée par les Alliés.

26 Le président Roosevelt n’a jamais considéré les forces françaises libres dirigées par le général de Gaulle, depuis Londres, comme un allié important dans la guerre contre les puissances de l’Axe. Cette attitude n’est pas étrangère aux tensions qui marqueront les relations franco-américaines durant la période où le général de Gaulle sera au pouvoir (1958-1969) en France. Winston Churchill était beaucoup plus méfiant à l’égard de l’URSS communiste que Roosevelt. Sa volonté de voir la France participer au club des Cinq du Conseil de sécurité était motivée par le désir de marginaliser le plus possible l’influence de l’URSS au sein du Conseil. Voir André Kaspi, Franklin Roosevelt (Paris : Fayard, 1988).

27 Pour des informations plus complètes sur les conférences qui ont conduit à la création de l’ONU et sur les évènements de la Deuxième Guerre mondiale, voir le site Internet du Avalon Project of the Yale Law School (www.yale.edu/lawweb/avalon).

28 La Charte de la SDN est constituée par les 26 articles du traité de Versailles qui lui sont consacrés. Pour une analyse des négociations du traité de Versailles, voir Margaret Macmillan, Paris 1919 (New York : Random House, 2002).

29 La Russie, alliée de l’Entente durant la guerre, signa une paix séparée avec l’Allemagne (traité de Brest-Litovsk de 1917) après la victoire de la révolution bolchevique.

30 Pierre Gerbet, Les organisations internationales (Paris : Presses universitaires de France, 1972), 18.

31 La Suisse étant devenu membre officiel de l’onu en mars 2002, tous les États reconnus comme tels par la communauté internationale sont désormais membres de l’organisation à l’exception du Vatican et de quelques micro-États du Pacifique.

32 Weiss, Les organisations internationales, 30.

33 Elle a remplacé la Cour permanente de justice internationale créée comme organe indépendant de la SDN en 1919.

34 Entre 1946 et 1986, 212 résolutions du Conseil de sécurité ont été bloquées par veto. Sur ce nombre, 114 provenaient de l’URSS, 54 des États-Unis, 25 du R.-U., 16 de la France et 3 de la Chine. Source: David M. Malone, « Security Council », in Weiss et Daws, The Oxford Handbook on the United Nations, 121. Selon Michael G. Roskin et Nicholas O. Berry, The New World of International Relations (Upper Saddle River, NJ : Prentice Hall, 3e éd., 1997), 356, les États-Unis n’ont utilisé leur droit de veto qu’à partir de 1971.

35 « David M. Malone, Security Council », in Wess et Daws, The Oxford Handbook of the United Nations, p. 121.

36 Stanley Hoffman, « Thoughts on the UN at Fifty », in S. Hoffman, World Disorders. Troubled Peace in the Post-Cold War Era (Boulder/New York/Oxford: Rowman & Littlefield Publishers, 1998), 177-189.

37 Robert Gilpin, Political Economy. Understanding the International Economic Order (Princeton: Princeton University Press, 2001).

38 Peter Willetts, « Transnational Actors and International Organizations in Global Politics », in John Baylis, Steve Smith et Patricia Owens (dir.) The Globalization of World Politics (Oxford: Oxford University Press, 2008), 330-350.

39 Robert Cox, The Political Economy of a Plural World (Londres/New York: Routledge, 2002); James Rosenau, Along the Domestic-Foreign Frontier: Exploring Governance in a Turbulent World (Cambridge: Cambridge University Press, 1997); id., Distant Proximities: Dynamics Beyond Globalization (Princeton: Princeton University Press, 2003).

40 Robert Gilpin, Political Economy. Understanding the Internationial Eonomic Order.

41 Shama Ahmed et David M. Potter, NGO’S in International Politics (Bloomfield: Kuanarian Press Inc., 2006).

42 Voir le résumé de la littérature sur le sujet dans : Diane Ethier, « Is Democracy Promotion Effective ? Comparing Conditionality and Incentives », Democratization, 10 (1) 2003: 99-121.

43 Voir Andrew F. Cooper, John English et Ramesh Thaky (dir.), Enhancing Global Governance (Tokyo: The United Nations University, 2002).

44 Sur les opérations de promotion de la démocratie des ONG occidentales et leurs succès mitigés, voir notamment : Thomas Carothers, Critical Mission. Essays on Democracy Promotion (Washington D.C. : Carnegie Endowment for International Peace, 2004) ; Camille Grangloff, L’import-export de la démocratie : Serbie, Géorgie, Ukraine, Kirghizistan (Paris : l’Harmattan, 2008).

45 Sidney Tarrow, Douglas McAdam et CharlesTilly (dir.), Dynamic of Contention (Cambridge: Cambridge University Press, 2001); Sidney Tarrow, The Transnational Activism (Cambridge: Cambridge University Press, 2005).

NOTES DE FIN

1 Cette liste des OI de l’après-guerre n’est pas exhaustive. Pour une liste plus complète assortie du nom des États membres de ces OI, voir les dictionnaires des relations internationales cités dans les références à la fin du volume.

2 Ce tableau ne fournit pas une liste exhaustive des OI actuelles. Pour une liste plus complète de ces dernières, assortie d’informations sur leurs dates de création et leurs membres, voir notamment L’État du monde, rubriques « Les organisations internationales » et « Les organisations régionales ».

TABLE DES ILLUSTRATIONS

TitreTABLEAU 2.1. Le système des organisations internationales après 19451

URLhttp://books.openedition.org/pum/docannexe/image/6406/img-1.jpg

Fichierimage/jpeg, 208k

TitreTABLEAU au 2.22. Le système des organisations internationales au tournant tournant du XXIe

URLhttp://books.openedition.org/pum/docannexe/image/6406/img-2.jpg

Fichierimage/jpeg, 434k

TitreTABLEAU 2.5. Le système des Nations Unies

URLhttp://books.openedition.org/pum/docannexe/image/6406/img-3.jpg

Fichierimage/jpeg, 591k

TitreTABLEAU 2.6. Répartition géographique des membres de la World Association of Non-Governmental Organizations

URLhttp://books.openedition.org/pum/docannexe/image/6406/img-4.jpg

Fichierimage/jpeg, 216k

© Presses de l’Université de Montréal, 2010

Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540

Chapitre 1. L’analyse des relations internationales

 

Chapitre 3. La politique étrangère des États

LIRE

ACCÈS OUVERT

 MODE LECTURE EPUB PDF DU LIVRE PDF DU CHAPITRE

FREEMIUM

Suggérer l'acquisition à votre bibliothèque

ACHETER

VOLUME PAPIER

leslibraires.frdecitre.frPresses de l’Université de Montréal

Presses de l’Université de Montréal

PLAN DU SITE

Collections

Art +

Bibliothèque du Nouveau Monde

Analytiques

Champ libre

Confluences asiatiques

Enseigner et apprendre

Espace littéraire

Expressions autochtones

Humanités à venir

Jean-Paul Brodeur

Nouvelles études québécoises

Parcours numérique

Paramètres

Politique mondiale

Profession

Pensée allemande et européenne

Pluralismes

Politique et économie

PUM

PUM-Corpus

Sociétés et cultures de l'Asie

Socius

Thématique Architecture, urbanisme et aménagement

Thématique Art et littérature

Thématique Divers

Thématique Sciences sociales

Tendances

Thématique Gestion, marketing et communications

Thématique Histoire et sciences humaines

Thématique Santé, médecine, sciences infirmières et service social

Hors collection

Tous les livres

Accéder aux livres

Par auteurs

Par personnes citées

Par mots clés

Informations

À propos

Contacts

Accès réservé

SUIVEZ-NOUS

RSS

Courriel :
pum@umontreal.ca

URL :
http://www.pum.umontreal.ca

Adresse :
3744 rue Jean-Brillant
bureau 6310
QC, H3T 1P1 Montréal
Canada

OpenEdition Books

Catalogue

Auteurs

Éditeurs

Dossiers

Extraits

OpenEdition

OpenEdition est un portail de ressources électroniques en sciences humaines et sociales.

OpenEdition Journals

OpenEdition Books

Hypothèses

Calenda

OpenEdition Freemium

Mentions légales

CGU

Politique de confidentialité

Gestion des cookies

 

Ajouter un commentaire

Anti-spam