L'apprentissage du Kinyarwanda

L’apprentissage du Kinyarwanda

 

Après avoir présenté quelques réflexions relatives à l’importance d’une connaissance minimale du Kinyarwanda dans le cadre d’une recherche, il me semble important de proposer quelques conseils sur les lieux et moyens d’apprentissage du Kinyarwanda.

Disons-le honnêtement, mon Kinyarwanda est « malade » et je ne prétends pas parler couramment, mais simplement maîtriser un vocabulaire de base et étant en capacité de comprendre un texte ou une discussion à minima. C’est là l’enjeu de ce billet.

Les lieux d’apprentissage

L’une des difficultés d’apprentissage réside dans l’absence de lieux dédiés en France. Bien que parlé par plus de 10 millions de locuteurs, il n’est cependant pas possible d’étudier le Kinyarwanda à l’INALCO. Il est par contre faisable de suivre des cours particuliers ou des cours collectifs organisés par certaines associations rwandaises.

Le plus simple reste évidemment l’apprentissage du Kinyarwanda au Rwanda.

Apprendre au Rwanda

La situation diffère selon le lieu où l’on est basé mais de façon générale, les chercheurs vivent à Kigali ou Butare (Huye) et font des terrains réguliers en dehors. Il devient rare de voir des enquêtes anthropologiques de longue durée au sein de villages. Surtout, le sens même de ces séjours a changé et il y aurait beaucoup à dire sur l’évolution de fait des pratiques anthropologiques1.

En réalité, il est souvent difficile de parler Kinyarwanda. D’une part, les personnes que l’on rencontre au cours de la vie quotidienne en ville parlent souvent français ou anglais. D’autre part, les entretiens sont généralement réalisés avec l’aide d’interprètes. Les interactions en Kinyarwanda se retrouvent de fait limités.

A titre personnel, ma rencontre quotidienne avec le Kinyarwanda se faisait par le biais…des archives. S’il est possible de se faire aider par un traducteur, ce qui suppose que celui-ci obtienne aussi une autorisation d’accès aux archives, cela se révèle difficile dans l’étude pratique des documents. La sélection des documents à copier est un art complexe et il est difficile d’expliquer tous les enjeux de la recherche d’archives à son traducteur. L’apprentissage du Kinyarwanda m’a donc particulièrement aidé lorsqu’il fallait sélectionner les archives importantes pour ma thèse. Le fait de pouvoir faire ce travail tout seul m’a aussi aidé en terme de crédibilité, ce qui m’a permis de plus facilement accéder à d’autres archives.

Maintenant, où peut-on apprendre le Kinyarwanda?

1) Le centre missionnaire Lavigerie (ou CELA: centre d’éducation aux langues africaines)


Afficher Centre missionnaire Lavigerie (Pères blancs) sur une carte plus grande

Situé à proximité de l’Eglise Sainte-Famille et du centre pastoral Saint-Paul, le centre missionnaire Lavigerie propose des cours de Kinyarwanda commençant début septembre jusque mi-décembre. Cette maison-mère des Pères Blancs au Rwanda accueille de nombreux missionnaires, pour certains présents au Rwanda depuis les années 1960 (et ayant toujours d’intéressantes histoires à raconter). Pour des raisons évidentes, ce lieu a toujours servi de centre d’apprentissage du Kinyarwanda pour les jeunes missionnaires. C’est encore le cas maintenant et il est possible d’y suivre les cours, pour une somme assez modique en comparaison d’autres institutions2.

La méthode utilisée est celle du Père Overdulve, Twige Ikinyarwanda (existant aussi sous le titre, plus récent, Initiation au Kinyarwanda, accessible en version numérique). Notons qu’il est possible de l’acheter directement à Kigali, pour un prix beaucoup plus raisonnable qu’en France. Cette méthode est intéressante mais semble datée du point de vue des formes d’apprentissage ou du vocabulaire utilisé, tournant autour de l’agriculture ou de la religion. La force de ce manuel vient peut-être justement de ce caractère un peu daté, de ce décentrement par rapport à la période actuelle. Un CD enregistré accompagne ce manuel.

2) L’Institut français


Afficher Institut Français de Kigali sur une carte plus grande

Je ne pourrai en dire plus mais je sais que l’Institut français propose des cours de Kinyarwanda. Il faut se renseigner sur les dates de début des cours, qui coûtaient l’an passé environ 150 000 francs pour 60 heures de cours. L’Institut français est aussi un bon endroit pour trouver et rencontrer des traducteurs de bon niveau.

Les méthodes d’apprentissage

Je ne décrirai pas les nombreuses méthodes qui existent, en dehors de celle déjà citée. Cependant, quelques unes m’ont été utiles au cours de ces dernières années, principalement parce que celles-ci étaient mises en ligne gratuitement.

De nombreuses méthodes sont aussi accessibles à la BULAC ou en ventes dans la boutique Langues de Gibert à Paris.

La méthode Cox

La méthode en ligne de Betty Cox, qui ressemble en certains points à celle d’Overdulve, est entièrement transcrite et mise en ligne. Comme souvent, cette méthode propose de nombreux exercices, mais sans leurs corrigés. Le plus simple est alors de se faire aider par un professeur au Rwanda pour la correction des exercices.

Le manuel de Kinyarwanda des Peace Corps

Les volontaires Peace Corps sont généralement envoyés dans des communautés un peu partout au Rwanda afin d’y effectuer des « actions utiles » que ce soit dans le domaine médical ou économique. En pratique, beaucoup donnent des cours d’anglais, participant de fait au changement linguistique. Une étude de l’implantation des Peace Corps au Rwanda, à l’instar des travaux de Pierre-Michel Durand  sur les anciennes colonies françaises, aurait d’ailleurs un grand intérêt3.Dans le cadre de formation de ces volontaires, l’accent est mis sur la compétence linguistique et culturelle. Les trois premiers mois sont ainsi consacrés à l’apprentissage du Kinyarwanda de façon intensive. Le manuel utilisé a été mis en ligne et il se révèle plus moderne et concret que d’autres manuels. Surtout, il se concentre sur le Kinyarwanda parlé en évitant de noyer l’étudiant dans des débats propres aux linguistes.

Là encore, les exercices proposés ne sont pas corrigés et il conviendra de demander de l’aide à un professeur.

Les éditions Bakamé

Plutôt pensé pour les élèves rwandais, je dois avouer avoir un faible pour tous les ouvrages publiés par les Editions Bakamé. Tout d’abord car il s’agit de la seule véritable maison d’édition spécialisée dans la littérature enfantine et les ouvrages sont de très grande qualité. Les contes publiés ainsi que les manuels scolaires, bien que pensés pour les enfants rwandais, peuvent être un vrai support d’apprentissage.

Il existe enfin tout un tas d’initiatives commerciales, ressemblant plus ou moins (plutôt moins) aux méthodes Assimil4.

 

Les dictionnaires de Kinyarwanda

Lorsque l’on parle d’apprentissage de langue et de traduction, il est nécessaire d’avoir à ses côtés un dictionnaire. De nombreux dictionnaires ont été réalisés par les missionnaires depuis le début de la colonisation, que ce soit des dictionnaires Allemand-Kinyarwanda ou Français-Kinyarwanda.

Pendant longtemps, l’ouvrage le plus important fut le dictionnaire « Runyarwanda-Français » du père Hurel, repris par la suite par le père Schumacher. Encore en vente au Rwanda, celui-ci est fort daté (comme le montre son nom) et se révèle en de nombreux points révélateur d’une certaine époque. C’est d’ailleurs tout l’intérêt des questions de traduction, de montrer que la langue est un objet mouvant dans lequel s’inscrivent les idéologies du moment.

Pour anecdote, le mot umuyahudi dans le dictionnaire Runyarwanda-Français est ainsi traduit par le terme Juif ou le terme radin.

Le dictionnaire conjoint IRST-Tervuren

Dictionnaire Kinyarwanda

Le principal dictionnaire Français-Kinyarwanda est le fruit d’un long travail des équipes de linguistes de l’IRST et du musée d’Afrique centrale de Tervuren5. Véritable somme de recherche de près de 3000 pages, cet ouvrage devrait être le compagnon de route de tout chercheur travaillant sur le Rwanda. Il est hélas peu diffusé et a fait l’objet d’un très faible nombre de recensions6.

Au Rwanda, il m’a été difficile de le trouver, à l’exception de la bibliothèque du Musée National du Rwanda ou de la bibliothèque de l’IRST. Celui-ci peut-être acheté au musée de l’Afrique centrale de Tervuren. J’ai eu l’occasion de tester la version CD au Musée National de Butare. Composé principalement de Pdfs et en l’absence de moteurs de recherche précis, dans mon souvenir, ma préférence va pour la version papier (dont le prix semble peu élevé au vu de l’ampleur de l’ouvrage). Pour ceux qui souhaiteraient l’utiliser ou le tester, il est accessible à la BULAC.

Voici un petit exemple de la présentation de ce dictionnaire, qui utilise une version non simplifiée de l’orthographe, avec le mot Inyeénzi:

Inyeenzi

Le projet Kamusi

Un dictionnaire en ligne important vient d’être mis en ligne dans le cadre du projet Kamusi qui vise à faire mieux connaître des langues africaines comme le swahili ou le Kinyarwanda. Un dictionnaire Kinyarwanda-Anglais vient d’être mis en ligne et celui-ci se révèle être d’une extrême utilité. Surtout, il utilise une orthographe simplifiée du Kinyarwanda. Maintenant, il reste moins complet que le dictionnaire mentionné ci-dessus et propose un nombre de définitions beaucoup plus réduit.

Vers une traduction automatique?

Un tel titre est évidemment provocateur. S’il est évident que les traductions à base de Google Translator font le plus souvent rire, elles restent très pratiques pour des langues que l’on ne maîtrise pas et j’utilise par moments ce traducteur pour avoir des informations minimales sur des textes en Kiswahili (ou tout simplement pour comprendre des chansons de Rose Muhando).

Il n’existe pas pour l’instant de traducteur automatique pour le Kinyarwanda, mais un projet existe en ce sens à la Carnegie Mellon University. Constatant que peu de personnes parlaient Kinyarwanda en 1994 et que cela s’est révélé être un véritable problème pour les militaires et humanitaires étrangers intervenus au Rwandaaprès juillet 1994, l’idée est de développer des méthodes de traduction automatique. Si les traductions  de ce type ne seront jamais d’une totale précision, il y a fort à parier que celles-ci s’amélioreront grandement avec le temps, tout comme ce fut le cas pour les moteurs d’échecs.

  1. Je me rappelle d’une volontaire Peace corps, vivant dans une commune éloignée proche de la frontière du Burundi. Au cours de son séjour, elle avait vu l’arrivée de l’électricité dans le village et une augmentation évidente de l’usage d’outils de communication tels qu’Internet ou le téléphone portable. En présence de ces outils, il devient beaucoup plus difficile d’être totalement déconnecté, ce qui a un impact sur les méthodes de terrain. [?]
  2. Dans mes souvenirs, il s’agissait de 120 000 francs pour trois mois de cours quatre heures par jour, soit environ 150 euros [?]
  3. Voir Pierre-Michel Durand « Le peace corps en Afrique française dans les années 1960. », Guerres mondiales et conflits contemporains 1/2005 (n° 217), p. 91-104 [?]
  4. Je pense en particulier aux programmes d’Eurotalk, qui possèdent un important caractère risible, les phrases en Kinyarwanda étant prononcées dans le logiciel par une femme blonde aux yeux bleues [?]
  5. Voir Cros Marie-France, « Un dico bilingue pour le Rwanda », La Libre Belgique, 10.10.2005 [?]
  6. On ne peut que regretter la très faible diffusion de cet excellent ouvrage, finalement publié dans un contexte où le français perd de son importance [?]


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